A l’occasion de l’inauguration du tramway le 12 décembre sortirauhavre est allé à la rencontre d’Olivier Pringard auteur d’un bel Ouvrage « Des omnibus au tramway Le Havre 1833 1951 » aux éditions du Havre de Grâce.

Comment vous est venue l’idée d’écrire un livre sur le tramway du Havre ?

Dans la perspective de l’anniversaire des 500 ans de la fondation du Havre (1517-2017), j’ai proposé à la ville en 2008 de recenser toutes les sources relatives à l’histoire de notre cité.

Après avoir obtenu son accord, j’ai donc recensé tous les ouvrages, manuscrits, articles et documents iconographiques qui pouvaient figurer dans les fonds de la ville (Archives municipales, Bibliothèque Salacrou et Musées historiques), dans les fonds du département (Archives départementales, bibliothèques de Normandie), dans les fonds universitaires de Normandie, de Paris et de province, dans les fonds privés (archives du CTPO) ou dans les fonds des Archives nationales et de la Bibliothèque nationale.

Ce travail a débouché sur la publication d’une bibliographie exhaustive de l’histoire politique, économique, sociale, artistique de notre cité.

Cet inventaire a été déposé en 2009 aux Archives municipales et à la Bibliothèque Salacrou pour permettre au public et aux chercheurs de mieux cibler leurs recherches.

Au cours de ce travail, j’ai pu constater que l’histoire des transports urbains havrais présentait de nombreuses zones d’ombre. Aussi, lorsque la ville du Havre a annoncé qu’elle allait faire renaître le tramway, j’ai décidé de reprendre, de revisiter ce sujet afin de permettre aux Havrais d’avoir une vision plus complète de l’histoire des transports de leur cité.

D’autant plus que certains fonds archivistiques (je pense au fonds CGFT/CGFTE récemment déposé aux Archives municipales) n’avaient pas encore été étudiés.

Ce travail de recherche a conduit à la publication de mon dernier ouvrage intitulé « des Omnibus au tramway, Le Havre 1833-1951 » publié aux éditions du Havre de Grâce en mars 2012.

Quelles ont été vos sources d’information ?

La grande majorité des sources relatives à l’histoire des transports urbains havrais provient des Archives municipales. Il s’agit tout d’abord des fonds « moderne » (série I) et « contemporain » (série O2) qui sont consacrés aux omnibus et aux tramways hippomobiles, au tramway électrique, aux trolleybus et aux autobus et qui contiennent un nombre impressionnant de documents d’époque.

On y trouve aussi un fonds provenant de la CGFT/CGFTE (le fonds 11Z) déposé par le CTPO qui renferme un volume impressionnant de documents (imprimés, lettres, dessins techniques, registres comptables, cartes). Les Archives disposent aussi de sources extrêmement intéressantes pour l’histoire des transports, notamment les Almanachs de la ville, les registres de délibérations du conseil municipal ou les comptes financiers de la ville.

Parallèlement aux documents conservés aux Archives municipales, j’ai utilisé aussi certaines sources de la Bibliothèque A. Salacrou (comme le Bulletin municipal statistique, les recueils du conseil municipal, les Almanachs et Annuaires du Havre ou la Revue L’Illustration) ainsi que les archives de la CGFT conservées au CTPO qui apportent des compléments d’information fort utiles notamment sur le tramway durant les deux guerres mondiales ou sur le fonctionnement interne de la CGFT.

Sans oublier bien naturellement les articles des différents journaux de la presse havraise.

Votre livre est riche en documents et contient de magnifiques photos, comment avez-vous fait pour vous procurer autant de documents ?

Pour la partie iconographique de mon ouvrage, j’ai délibérément choisi d’exclure les cartes postales car elles ont été beaucoup utilisées dans les ouvrages de vulgarisation.

J’ai souhaité tabler sur l’originalité. Parmi les 220 illustrations présentées dans ce livre, vous avez des gravures, des dessins, des cartes du réseau provenant des fonds municipaux ainsi que 150 photos (dont beaucoup sont inédites) provenant des Archives municipales, de la Bibliothèque Salacrou, des Musées historiques du Havre, du CTPO, du CHRH (Centre Havrais de Recherches Historiques) et de collectionneurs privés.

Je tiens d’ailleurs à remercier les directeurs des Archives, de la Bibliothèque, des Musées historiques et du CHRH pour le concours qu’ils m’ont apporté. Je tiens aussi à remercier tout particulièrement les collectionneurs havrais qui se sont mobilisés pour cet ouvrage en m’ouvrant leurs fonds privés.

La richesse iconographique de ce livre est indubitablement liée à la mobilisation de toute une série d’intervenants publics ou privés. Je me devais, en tant qu’auteur, de leur rendre hommage dans vos colonnes.

Le fait de publier ou non ces documents a du être un vrai casse-tête voire même un crève-coeur ?

Un casse-tête assurément. Surtout pour mon éditeur M. Fabrice Richer des Editions du Havre de Grâce. Permettez-moi d’ailleurs de lui rendre hommage ainsi qu’à son épouse qui s’est occupée de la mise en page de tous ces documents iconographiques dans le corps du texte.

Je dois dire que les éditions du Havre de Grâce ont fait le maximum pour répondre à mes demandes. Lors de la mise en place de la maquette, nous avons été malheureusement amenés à supprimer certains documents parce que leur qualité était insuffisante au niveau de l’impression ou parce qu’ils ne pouvaient pas s’intégrer correctement dans le format de l’édition.

C’est bien naturellement l’un de mes regrets car ce fut parfois un crève-cœur quand il a fallu éliminer certaines photos. Mais il faut faire des choix … même si cela vous coûte. C’est ainsi.

Combien de temps prennent l’écriture et la réalisation d’un tel ouvrage ?

Les recherches sur les divers fonds d’archives ont réclamé plus deux années de travail. La rédaction de l’ouvrage a demandé environ 6 mois et la réalisation de la maquette (mise en forme, finalisation des tableaux statistiques et graphiques, correction du manuscrit, positionnement des documents iconographiques et amélioration de leur qualité d’impression) a exigé 4 mois de travail.

Ni les éditions du Havre de Grâce ni moi-même n’avons compté notre temps car nous partagions un but commun : fournir au public un ouvrage de grande qualité. Le seul reproche que nous pourrions nous faire, c’est de n’avoir pu intégrer des documents en couleur.

Mais compte tenu du grand nombre de pages (400) et de la nécessité de sortir cet ouvrage au meilleur coût, nous n’avons pas pu aller outre.

Votre livre a eu l’honneur d’être préfacé par une personne de marque…

C’est exact. Par M. Edouard Philippe, maire du Havre. C’est à ma demande que M. Edouard Philippe a rédigé la préface de cet ouvrage.

Son intervention me semblait incontournable puisque la ville était à l’origine de la renaissance du tramway au Havre.

Le tramway est devenu assez rapidement indispensable à la ville réalisant même de larges bénéfices, pour ensuite vivre des moments plus difficiles notamment après les deux guerres; quel a été selon vous l’âge d’or du tramway au Havre et quels furent les éléments majeurs de sa disparition en 1951 ?

L’âge d’or du tramway se situe incontestablement entre 1894 et 1914. Encore qu’il soit possible de considérer que la période 1914-1930 apparaît plutôt positive bien que le réseau havrais ait enregistré ses premiers déficits d’exploitation.

C’est à partir du début des années trente que la situation du tramway se dégrade en raison de la crise économique d’octobre 1929.

C’est en effet à ce moment que les déficits deviennent de plus en plus lourds et que la charge financière de la ville tend à considérablement s’alourdir.

Au point que la municipalité dirigée par Léon Meyer se vit contrainte d’imposer des coupes drastiques dans le budget du réseau. A la Libération, la situation s’aggrave encore car il faut tout reconstruire : la remise en service du tramway coûte en effet très cher à la ville puisque le réseau a été totalement dévasté par les bombardements de septembre 1944.

En témoignent les photographies publiées dans mon ouvrage. En 1946, la municipalité conduite par Pierre Voisin s’interroge sur l’utilité de conserver un moyen de transport jugé de plus en plus obsolète. On reproche alors au tramway son coût d’exploitation élevé, sa lenteur, sa vétusté au niveau du matériel roulant et sa difficulté à s’insérer dans la circulation automobile.

C’est à cette époque que le conseil municipal va se prononcer pour la substitution de trolleybus et d’autobus au tramway. Dès lors, les jours du « tram » sont comptés. Les lignes sont supprimées l’une après l’autre de 1947 à 1951. Si bien qu’à la fin de 1951, le réseau havrais s’organise autour de deux lignes de trolleybus et de sept lignes d’autobus.

On peut lire des anecdotes amusantes, comme celle des pétitions contre le bruit assourdissant des trompes qui furent à plusieurs occasions menées par les riverains; ces types de désagréments pourraient-ils refaire surface à notre époque ?

Il est vrai que de nombreuses critiques ont émaillé la vie du premier réseau de tramway havrais.

C’est par exemple le cas en 1894 lors du passage à l’électricité car de nombreux Havrais critiquèrent l’installation des fils et des potences et reprochèrent à la municipalité Louis Brindeau d’avoir sacrifié l’esthétique de leur ville. Au point que le maire du Havre se vit amené à reconnaître quelques années plus tard « que dans leur indignation, les professeurs d’esthétique eussent volontiers à l’époque pendu haut et court aux potences du boulevard de Strasbourg le maire, l’adjoint chargé du service et le rapporteur [de la commission municipale des transports] ».

Mais, comme l’écrivit le maire du Havre, « au bout de huit jours on n’y pensait plus ». Le témoignage de Louis Brindeau, fervent défenseur de l’électrification du réseau havrais, doit être pris cependant avec des réserves. Il fallut un temps d’adaptation beaucoup plus long avant que la population havraise se positionne définitivement en faveur du tramway électrifié.

Dans ses « Chroniques havraises », Albert Herrenschmidt s’en faisait encore l’écho en 1909 : « Et les poteaux et les trolleys ont surgi. Avouons-le, ils sont très laids ces trolleys …

Nos yeux tout d’abord contrariés par leur aspect, ont fini par se lasser de les contempler… Les yeux s’y sont faits et nous nous prenons à sourire lorsque nous jetons un coup d’œil sur les caricatures du temps où la malice des satiriques proposait aux ménagères d’utiliser les fils de la rue pour y mettre à sécher leur lessive familiale ».

Nul doute que le second tramway du Havre génèrera des critiques. Il conviendra cependant d’attendre pour se faire une idée du ressenti des Havrais. Au Havre, les oppositions continuèrent d’ailleurs à se manifester dans les années 1900.

En témoignent les protestations des riverains qui multiplièrent les pétitions pour protester contre l’utilisation abusive des trompes par les « wattmen » chargés de la conduite des motrices. La ville tint d’ailleurs compte de ces diverses pétitions puisque les motrices furent équipées, à partir de 1910, d’un « timbre » pour annoncer leur arrivée à un croisement de rues de façon à réduire l’impact des nuisances sonores.

D’autres critiques portèrent sur le prix trop élevé des billets, sur la suppression de lignes (c’est le cas notamment en 1915 pour les lignes Gare/Jetée, Rond-Point/Notre-Dame, Jetée/Hève ou Rond-Point/Phares) ou sur le non respect des horaires de passage.

Vous me demandez si les critiques proférées par les Havrais à la fin du XIXème ou au début du XXème siècle pourraient « refaire surface à notre époque ». Je ne peux vous répondre car je n’ai pas d’informations sur les modalités de fonctionnement du nouveau tramway du Havre. Il convient en l’occurrence d’interroger la CODAH pour obtenir des réponses sur ce point.

Le 12 décembre le Havre va vivre une grande page de son histoire, les Havrais en sont-ils conscients ?

Le 12 décembre 2012 va incontestablement tourner une page de l’histoire du Havre puisque deux lignes de tramway vont être inaugurées 61 ans après la fermeture du premier réseau électrifié.

C’est à la fois un regard sur le passé et, d’une certaine façon, un « retour vers le futur ». Je ne sais pas comment la population havraise appréhendera ce nouveau mode de transport.

Il est vrai que de nombreuses récriminations ont été formulées au cours de ces deux dernières années contre le nouveau tramway. La plupart de ces critiques ont porté sur les incidences de sa construction sur la circulation urbaine ou sur l’activité commerciale des entreprises touchées par ses travaux de mise en œuvre.

Je tiens cependant à préciser qu’on relève les mêmes critiques lors de l’électrification du tramway en 1894 lors de la mise en service des premières lignes du réseau électrifié havrais. Mais, ce que l’on peut noter, c’est que les Havrais apprécièrent rapidement le passage à l’électrification car on assiste à une véritable démocratisation des transports urbains puisqu’on relève 5 000 000 de voyageurs en 1893 et 21 000 000 de voyageurs en 1913.

Louis Brindeau affirme que les Havrais acceptèrent rapidement le nouveau tramway électrique.

C’est effectivement vrai si l’on se reporte aux chiffres de sa fréquentation. Mais l’historien se doit de dire que la population havraise ne fut pas unanime car de nombreux Havrais continuèrent à regretter « le temps jadis » comme l’a rapporté Albert Herrenschmidt.

Si l’on veut apprécier le sentiment des Havrais vis-à-vis du tramway 2012, il conviendra d’attendre en fait deux ou trois ans pour pouvoir se faire une idée. Signalons cependant qu’au cours de ces dernières années, toutes les villes qui ont réhabilité le tramway ont été l’objet de critiques parfois sévères mais on remarque, c’est le cas par exemple de Rouen ou de Bordeaux, que les récriminations se sont nettement estompées par la suite.

Nous verrons donc ce qu’il adviendra pour Le Havre.

Avec l’inauguration du tramway le 12 et les fêtes de Noël, votre livre semble être le cadeau idéal pour les amoureux de la lecture et de l’histoire du Havre ?

Il est vrai que ce livre publié aux éditions du Havre de Grâce (le seul éditeur de notre cité) revisite complètement l’histoire des transports urbains havrais et tout particulièrement celle du premier réseau de tramway qui a fonctionné de 1894 à 1951.

Cet ouvrage de 400 pages illustré par près de 220 documents iconographiques et fondé sur des statistiques totalement inédites permet aux Havrais de se faire une idée du « temps jadis ». En tant qu’Havrais, je suis attaché à mes racines.

J’aime pour ma part redécouvrir, au gré des publications, l’histoire de ma cité. J’attends d’ailleurs avec impatience la publication le 14 décembre 2012 des mémoires de Guillaume de Marceilles sur le premier siècle de l’histoire de notre cité.

Je pense en fait que beaucoup de Havrais sont, comme moi, avides de connaître le passé de leur ville. Exercer le métier d’historien, c’est l’un des plus beaux métiers du monde car il permet à tous d’avoir une relation privilégiée avec leur passé, c’est-à-dire avec tous ceux qui ont façonné peu à peu le devenir de notre ville.

Vous pensez que ce livre peut être le cadeau idéal pour les fêtes de fin d’année, compte tenu des cérémonies d’inauguration du tramway le 12 décembre 2012. Vous avez peut-être raison.

Je me suis il est vrai totalement investi au cours de ces trois dernières années pour permettre aux lecteurs havrais d’avoir la vision la plus exacte possible de l’histoire des transports urbains de leur ville.

Contrairement à ce que certains peuvent penser, l’historien ne cherche pas à « faire de l’argent » avec la publication d’un ouvrage. Surtout quand on connaît la modicité des émolument du chercheur.

Ce qui a motivé ma démarche et ce qui motive tous mes confrères, c’est de rechercher la « vérité historique ». En publiant cet ouvrage, j’ai véritablement et symboliquement « gagné » mon salaire car je pense avoir permis au lecteur d’accéder à une meilleure connaissance du sujet traité.

C’est pourquoi je souhaite à tous les amoureux de l’Histoire de notre ville une très agréable lecture. J’espère que tous les lecteurs prendront plaisir à découvrir ce livre : l’histoire n’est-elle pas aussi et surtout une rencontre avec les hommes ?

Quel est ou quel va-t-être votre prochain projet ?

Après ce travail de recherche sur les transports urbains havrais, je vais me consacrer dans le cadre de la célébration des 500 ans de la fondation du Havre à la rédaction d’un ouvrage retraçant l’histoire de la ville du Havre depuis 1517. Cet ouvrage est conçu dans un cadre collectif puisqu’il intégrera les contributions de plusieurs intervenants. La publication de ce livre est prévue pour 2014 aux éditions OREP.

Entretien réalisé par Grégory Constantin Avril 2018

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