Bonjour Jessy, Peux-tu te présenter à nos lecteurs?
Je m’appelle Jessy Spahija, j’ai 44 ans, je travaille actuellement dans la rénovation et plus particulièrement dans la rénovation du Normandy, au Havre. Avant ça, j’ai fait du commerce, rien à voir donc, des bandes-dessinées et des produits dérivés de cinéma.
Quelle est l’histoire entre ta famille et le Normandy ?
A la fin des années 90, mes parents avaient un restaurant à Honfleur et ils avaient pour habitude, entre les deux services, d’aller se promener un peu au Havre. Et un jour, en se baladant, ils sont tombés face au Normandy qui était déjà à l’abandon, qui était à vendre et ils ont craqué sur la façade. Ils ont appelé, ils ont pris rendez-vous et finalement ils l’ont acheté sur un coup de tête, en se disant qu’ils allaient le refaire, sans jamais pouvoir y parvenir.
Puis, de fil en aiguille, en écoutant les riverains et leurs histoires au Normandy, mais aussi grâce à des rencontres un peu fortuites comme Christopher Vimare (ASPH) ou des journalistes du Paris Normandie, on s’est vite retrouvés portés par tout cet engouement autour des travaux du Normandy. C’est à ce moment là que je me suis dit que c’était réellement dommage de voir un aussi beau bâtiment, avec autant d’histoire, laissé à l’abandon.
D’un autre côté, c’est un peu aussi une thérapie, suite au départ de mon père, un peu une revanche, de finir ce que lui n’avait pas pu terminer.
Quelques mots sur l’Histoire du Normandy ?
Il a été construit en 1934, suite à la déposition du permis l’année précédente, par un architecte havrais du nom de Henri Daigue. La personne à l’origine de la construction du Normandy se nomme Berthe Chometon, qui est, pour l’anecdote, la grand-mère de Thierry Dufour, le couvreur qui intervient aujourd’hui sur la charpente de l’édifice.
Par la suite, divers exploitants se sont succédés au fil des décennies avec différentes programmations : théâtre, cabaret, music- hall ou encore cinéma. Ces changements de programmation s’expliquent d’une part, par la volonté des différents exploitants mais aussi par les modes et les demandes qui, au gré des époques, ont évolué.
Quels artistes ont évolué sur la scène du Normandy au fil des décennies ?
Il y en a eu un paquet… On essaye un peu, avec l’ASPH notamment, de retracer un petit peu l’historique et on a retrouvé pas mal de tickets, d’archives à ce sujet. Dans ce qu’il y a de plus récent, on retrouve les Inconnus, en 1989, il y a eu aussi Téléphone, Motörhead, pour la scène un peu plus rock. Un peu plus tôt on a pu retrouver des musiciens tels que Duke Ellington, Sidney Bechet, Annie Cordy, Smaïn ou encore Eddy Mitchell, qui est venu tourner un épisode de “la dernière séance”.
Le Théâtre a vu ses portes se fermer brusquement en 1991, pour quelles raisons ?
Le théâtre a fermé la veille d’un spectacle de Jean-Marie Bigard suite à un contrôle de sécurité. Plusieurs éléments ont été vérifiés et notamment le rideau coupe-feu au niveau de la scène. Ce dernier a été descendu pour répondre au contrôle, mais ils n’ont jamais réussi à le relever. Suite à ce problème, entre autres, le Normandy a fermé ses portes sans jamais les rouvrir. Il a ensuite été mis en vente, il y a eu plusieurs projets qui ont été avortés entre 1991 et 1999 jusqu’à ce que mes parents en fassent l’acquisition.
Quelles ont été les premières étapes du chantier dans le projet de réhabilitation ?
Au début, il a fallu débarrasser tout ce qui avait été entreposé au fil du temps puis, rapidement, on a enchaîné avec le curage du bâtiment, tous les doublages des éléments un peu abîmés afin de pouvoir réaliser un diagnostic de structure. Il s’est avéré, suite à ce diagnostic, que le bâtiment était en super état et très bien conçu avec des ventilations naturelles un peu partout, mais également très peu de bois, surtout de la brique et du béton donc quasiment pas de pourrissement.
On s’est ensuite attaqué à la façade. Je me suis dit que c’était l’élément qui parlait le plus aux gens pour fédérer autour du projet. On a alors fait appel à des entreprises locales telles que PBI, Vitrails Création, Asten… pour nous aider à avancer dans ce chantier assez titanesque. En décapant, on a retrouvé les couleurs d’origine de 1934, mais aussi une fresque avec le nom de l’architecte. Du coup, au lieu de le faire en bleu, blanc, rouge comme on l’avait tous connu, on allait le refaire aux couleurs d’origine.
Une fois la façade terminée (dévoilement en septembre 2021), on s’est attaqué à la toiture avec le décapage, la peinture anti-rouille, le désamiantage et la nouvelle couverture.
Quelles sont les prochaines échéances au niveau du chantier ?
Fin de l’hiver, début du printemps 2023, on va en finir avec la toiture, puis, on va pouvoir passer à l’intérieur et c’est là que ça devient intéressant car ça va réellement commencer à prendre forme. On pourra également commencer à faire tout ce qui est attrait à l’électricité, la plomberie mais aussi le doublage.
Quel est le rôle de l’ASPH et de Boulevard des Artistes dans ce projet ?
L’ASPH, ce sont les premiers que j’ai rencontrés. Ils m’ont permis d’avoir un regard différent de mon regard purement technique sur la faisabilité du projet en attirant mon attention sur tout l’aspect historique, patrimonial et sur l’importance de conserver la mémoire de tout ce qui avait été fait auparavant. Christopher, le président de l’association, a procédé à un relevé minutieux de tous les doublages mais aussi de la façade pour pouvoir reproduire tout à l’identique. Par exemple, pour la façade, c’est lui qui a numérisé en 3D les gardes corps sur le haut vent, mais aussi les vitraux, ce qui a permis aux entreprises de tout refaire à l’identique, les vitraux étant trop détériorés pour être conservés.
Pour ce qui est de Gattaca Studio et du Boulevard des Artistes, je les ai rencontrés peu de temps après. Ils représentent vraiment la dimension artistique et la possibilité de côtoyer de nombreux artistes locaux qui connaissaient le Normandy et qui souhaitaient s’y produire. Ça nous a permis de faire connaître le projet à un éventail un peu plus large de personnes. Plusieurs émissions et clips ont ainsi été tournés grâce à eux dans un Normandy en travaux afin de lui redonner une âme. Ils m’ont également permis de rencontrer de nouveaux prestataires et mécènes, notamment pour l’éclairage architectural de la façade.
Comment peut-on aider le Normandy dans son projet de réhabilitation ?
Nous recherchons des mécènes, que ce soit du mécénat de compétences ou en numéraire. On recherche aussi des entreprises qui voudraient intervenir d’une manière ou d’une autre, des bienfaiteurs, des donateurs qui voudraient nous accompagner dans le projet afin de le mener à son terme le plus vite possible.
A quels types d’évènements peut-on s’attendre à assister une fois le Normandy ouvert ?
Ce qu’on aimerait, c’est avoir une salle qui soit la plus polyvalente possible afin qu’on puisse programmer de la comédie, du théâtre, en configuration assise mais aussi en configuration debout avec des concerts, des expositions, des conventions ou encore pouvoir le configurer en cabaret. C’est pour cette raison que l’on fait un énorme travail en amont notamment via l’isolation ou encore les installations électriques, afin de ne se fermer aucune porte.
Et justement, quand peut-on s’attendre à une réouverture ?
La date de fin des travaux est idéalement prévue courant 2024, si on arrive à avoir des subventions et quelques aides extérieures comme les mécènes. Au vu de ce qu’il reste à faire techniquement les délais paraissent tout à fait envisageables.
Quel(s) artiste(s) rêverais-tu de voir sur la scène du Normandy ?
Oh il y en a beaucoup ! J’aime bien Kiss, même s’ils risquent de prendre leur retraite avant que j’ai fini… Il faut que je me dépêche ! (rires). Après, il y a plein d’artistes français et étrangers que je serai super fier d’accueillir ici mais aussi pour la ville du Havre. Si nous pouvions, à notre échelle, réussir à ramener quelques grands noms, ce serait déjà pas mal.
Entretien réalisé par Grégory Constantin et Alexandre Siefridt.