Photo Joanna Tabbi

Cette semaine c’est au tour de Ludovic Lavaissière et Richard Tabbi de répondre à nos questions.

Ludovic Lavaissière et Richard Tabbi sont coauteurs du livre Moi et ce diable de blues aux éditions du Riez un roman Policier ancré dans l’atmosphère diluvienne du Havre.

Un roman suintant le politiquement décadent ou l’on brûle la gomme à chaque page, et ou l’on jacte en argot licencieux !

Vous avez tous les deux déjà écrit des ouvrages, quels étaient leurs sujets ?

LL : Pour ma part j’ai écrit deux nouvelles. La première, ‘Prosopo(u)pée’, a notamment été publiée dans la revue ‘Black mamba’. C’était une histoire de tueuse à gages rude et sexy qui se voyait rattrapée par les fantômes de son passé. Une héroïne passablement désaxée maniant aussi bien la kalach’ que l’argot. Un parler que que ne renierait pas le lieutenant Valdès. La deuxième, ‘Kainsmal’, a paru dans l’anthologie ‘Identités’, dirigée par Lucie Chenu. Il s’agissait d’un texte qui entraînait le lecteur dans les méandres de l’histoire, de la guerre de Crimée à l’avènement du nazisme – une thématique qu’on retrouve dans ‘Moi & ce diable de Blues’ que Richard & moi avons pensé comme un roman sur le Mal. ‘Kainsmal’ évoquait tour à tour l’exclusion, l’immortalité, les freaks, le négoce de peaux tatouées… et même le vampirisme ! Puisque Caïn, premier tueur de l’histoire, y sévissait en tatoueur dans un cirque ambulant et y corrompait l’âme de ses clients, mêlant son sang criminogène à ses encres.

RT : J’ai écrit un roman paru en 2003 intitulé ‘Zombie Planète’. Il s’agissait d’un « road-book », l’histoire d’une dérive vers la folie et la mort au travers de lieux à la toponymie absente. Le personnage principal avait l’impression que l’enfer lui collait aux basques et était ballotté par les événements, n’avait aucune prise sur eux, aucune maîtrise de son propre destin. Ce livre se voulait avant tout un hommage à Richard Brautigan, et à quelques-uns de ses collègues dont la lecture m’a profondément marqué, à savoir John Fante, Jack Kerouac et Charles Bukowski. Avec le recul je me rends compte que ce livre correspondait parfaitement à la définition d’un roman noir. Par la suite j’ai surtout écrit des nouvelles dont la plus aboutie à mon sens dans sa forme expérimentale est ‘Machines Sentimentales’, parue dans la revue ‘Twice’. Il s’agit d’un cut-up, soit la réunion de plusieurs textes, évoquant les relations entre les hommes et les machines, et envisageant l’homme comme une machine, imparfaite et versatile.

Pourquoi avoir voulu écrire ce livre à deux ?

Parce qu’il s’agit avant tout d’une histoire d’amitié. Parce que, bien que nos écrits précédents relèvent d’univers littéraires différents (littérature de genre pour l’un, littérature blanche pour l’autre), nos trajectoires se sont croisées, et parce que justement le polar était le genre idéal pour mettre en œuvre nos compétences respectives. Parce que nos styles sont complémentaires, et donc que la mayonnaise a pris. Parce que travailler à quatre mains signifie émulation permanente, on se renvoie la balle et il faut taper toujours plus fort pour surprendre l’autre, le faire marrer, et caetera.

Comment vous êtes-vous réparti les tâches pour l’écriture de ce livre ?

Grosso modo nous nous sommes réparti les chapitres au fil de l’eau et en fonction de nos désirs de développer telle ou telle idée. Au final nous écrivions un chapitre chacun de notre côté, simultanément, puis l’on se retrouvait en vidéoconférence pour lisser le tout, harmoniser nos styles (déjà relativement proches) et accoucher d’une voix commune. Le fond comme la forme n’ont cessé d’évoluer jusqu’à l’ultime correction des épreuves.

D’où vous est venue l’idée de ce roman ?

L’idée de ce roman nous est venue suite à l’écriture d’un scénario à quatre pognes il y a de ça quelques années. Celui-ci contenait déjà nombre de thématiques que l’on retrouve dans ‘Moi & ce diable de blues’ : le côté noir, une certaine propension au fantastique, et l’omniprésence du mal. À tel point que la scène finale du roman est tirée pour partie du scénario.

Le style d’écriture, l’ambiance et la noirceur des personnages n’excluent pas une certaine dose d’humour. L’humour est-il indispensable à ce type de roman ?

Oui tout à fait, l’humour noir permet de faire passer l’abominable. Cela vient aussi de notre propension à lire des auteurs qui mêlent humour et noirceur, Ken Bruen que l’on cite dans le livre mais aussi Chester Himes et bien d’autres. Nous avons surtout en commun d’avoir lu et apprécié nombre de polars parodiques tels que ‘Pulp !’ de Charles Bukowski, ‘Elles se rendent pas compte’ de Boris Vian ou encore ‘Un privé à Babylone’ de Richard Brautigan. L’onirisme, l’usage de l’argot, ce goût pour une sexualité perverse nous viennent en partie de nos lectures.

Pourquoi avoir situé l’action de votre roman au Havre ?

RT : Car j’ai vécu 5 ans dans cette ville et je ne m’en suis toujours pas remis. J’ai adoré l’ambiance de cette ville portuaire, le trafic maritime au large, la mer omniprésente dans la ville, les histoires de marins qui s’y racontent, le brassage de population qu’on y trouve…J’ai aimé cette architecture étrange, avant-gardiste à l’époque, née des cicatrices de la guerre… Et aussi le vent sur les falaises. Nous avons certes noirci le tableau pour les besoins du roman, mais ce fut par exemple un grand bonheur de revenir au Havre afin d’y signer ‘Moi & ce diable de Blues’ à la Galerne…

LL : Parce que c’est plus facile de retranscrire l’atmosphère d’une ville qu’on fréquente, dans mon cas, depuis quarante ans ! Le Havre est pour moi la ville du polar par excellence, ‘Les Ancres Noires’ ne s’y sont pas ancrées par hasard. Ses Docks remplis d’Histoire, ses falaises saturées d’herbes folles et d’épineux, ses pluies torrentielles qui canardent le pavé… c’est un théâtre de choix pour le rom’pol’. Les romans de David Goodis et le traitement qu’il a fait subir à sa Philadelphie natale m’accompagnaient aussi lors de l’écriture du roman. La vision sans concession qu’a le lieut’ de la ville me correspond tout à fait. La ville est moins sombre que ce que nous dépeignons mais le polar agit comme un révélateur des côtés obscurs d’une métropole.

On retrouve un peu l’ambiance noire et irrespirable du film d’Olivier Marshall « Mr 73 » , ce film ou le cinéma en général vous ont-ils inspiré ?

Aucun de nous n’a vu ce film, non. Toutefois le cinéma est une source d’inspiration non négligeable. L’interprétation de Gary Oldman en flic addict et déjanté dans ‘Léon’ a marqué nos rétines, mais s’il faut citer une influence, nous invoquerons davantage le ‘Bad Lieutenant’ d’Abel Ferrara.

Alors quelles ont été vos sources d’inspiration pour ce livre ?

En dehors de celles citées plus haut, nous pouvons aussi mentionner William Burroughs et Henry Miller pour leur argot et leur poésie venimeux, ainsi que les textes d’Hubert-Félix Thiéfaine, inspirants ô combien.

Souhaiteriez-vous que votre roman soit adapté à la télévision ou au cinéma ?

Qui ne le souhaiterait pas ? Effectivement notre roman se prêterait volontiers à une adaptation audiovisuelle d’autant que nombre de séries et de films à l’ambiance polardeuse ont été tournés au Havre. Nous avons particulièrement soigné les dialogues, travaillé sur l’oralité et l’utilisation de l’argot, notamment poulardin. L’urbanité malsaine de notre univers pourrait inspirer un réalisateur friand d’atmosphères oppressantes et poisseuses. D’autant qu’on nous a fait remarquer que les personnages étaient très incarnés… De là à les imaginer portés à l’écran, ce serait la cerise sur le spacecake…

Le sous-titre du livre laisse supposer plusieurs suites, y a-t-il déjà de nouvelles enquêtes du lieutenant Valdès dans les tiroirs ?

Le sous-titre n’est pas innocent. Il est effectivement prévu que le lieutenant Valdès traîne ses Weston dans d’autres bourbiers.

Seront-elles toujours situées au Havre ou dans sa région ?

Si ce premier livre est viscéralement ancré au Havre, il propose également au lecteur de voyager, de la Pologne à l’Allemagne en passant par Pandemonium… Alors allez savoir… Nous ne nous interdisons rien.

Entretien réalisé par Grégory Constantin  pour le site SAH Juin 2012

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