Il fait parti de ces artistes qui agitent une ville, Miguel Do Amaral Coutinho était tout récemment à la tête d’un projet artistique participatif, avec plusieurs centaines de Havrais. L’artiste a redonné vie aux escaliers de Montmorency tel un couturier en l’habillant d’un très beau costume de multiples couleurs. L’occasion était belle de le rencontrer pour mieux le connaître et découvrir ses très nombreux projets. 

Bonjour Miguel pour commencer cet entretien peux tu nous raconter d’où te vient cette passion pour le Street Art (la peinture murale) ?

J’ai commencé à m’intéresser au graffiti à mes 18 ans. Avec des potes de mon quartier nous faisions du skate dans une usine désaffectée vers Graville. Pour décorer notre « skatepark», nous avions acheté des bombes au magasin BIZ quartier Danton afin de réaliser des pochoirs aux murs. C’était la première fois que j’utilisais une bombe de peinture, j’ai trouvé ça fun. Malgré nos efforts pour empêcher les intrusions dans notre friche, nous découvrons un jour un mur entièrement peint par Otib et Kasp (TPZ crew à l’époque) ainsi que des lettrages des STM crew. Ce fut une révélation pour moi, j’ai rapidement acheté d’autres bombes pour réaliser mon premier lettrage.

Te souviens tu de ton 1er graff ?

Oui, c’était ce lettrage en décembre 2000 dans cette usine désaffectée du côté de Graville.

Quel sont les artistes qui t’ont influencé à l’époque ?

Beaucoup de monde ! Principalement les membres des crews havrais ATS et NSA tels que Jace, Impec, Sher, Arsen, Nefase, Bside, Kesta et bien d’autres (TPZ crew, Shalik, STM crew…). A l’époque les tags étaient omniprésents en ville, il y avait même beaucoup de lettrages en plein centre ville ! J’étais fasciné par le travail de déformation et de stylisation des lettres. Je trouvais ça dingue de peindre sans autorisation dans la rue en vandale ! Je me souviens très bien avoir vu Sher prendre une photo de son graffiti (un chrome) réalisé en bas de ma rue, au nez et à la barbe d’une voiture de police.

Comment tout cela a évolué ?

L’an 2000 marque l’apogée du graffiti au Havre, la municipalité de l’époque livre une véritable « guerre aux tags » en recouvrant systématiquement graffs, tags et stickers. En 2000, l’association CAPS est créée par un passionné de graffiti, Olivier Nampon. En accord avec la mairie et les propriétaires, des murs sont confiés à l’association et donc aux graffeurs adhérents. La ville comptait canaliser la prolifération de tags dans la rue grâce à ce dispositif. Malheureusement, des murs non autorisés ont été peints, et la ville a souhaité mettre fin à ce partenariat vers 2003. Suite à cela, les murs sont progressivement recouverts par la mairie. Il faudra attendre 2009 pour voir arriver une nouvelle vague d’expression murale avec les L2A Family notamment, et les interventions monumentales de Père Dedu ou encore Satu.

As tu rencontré quelqu’un qui a été déterminant sur ton chemin vers la professionnalisation ?

Je dirais une peintre muraliste de Lyon, Sylvie Casartelli, qui à ma demande, m’a présenté son métier et invité sur un de ses chantiers.

A quel moment t’es tu dis que tu souhaitais en faire ton métier ?

Lorsque j’étais consultant logistique sur Lyon j’ai découvert la peinture murale monumentale. Cette ville est la capitale du mur peint en France grâce à la coopérative de peintres muralistes Cité Création. A cette époque je ne me sentais pas à ma place dans ma profession. J’ai rapidement souhaité me réorienter vers un métier d’art. J’ai trouvé le métier de peintre en décors après quelques recherches et ça m’est apparu comme une évidence. J’ai quitté mon job et je suis parti sur Nantes pour une suivre une formation de peintre en décors.

Quel a été selon toi l’évolution du Street Art depuis 20 ans ?

Le terme « street art » est arrivé assez tardivement si on regarde l’histoire de la peinture murale contemporaine. Auparavant on parlait de graffiti en France et dans le monde jusqu’au début des années 2000,  on ne se disait pas « street artist » mais graffeur, affichiste, pochoiriste, mosaïste,…

L’arrivée d’internet, la prolifération de sites dédiés au « street art » ainsi que le partage massif de photos et de vidéos d’arts urbains (graffiti et autres) sur les réseaux sociaux, ont imposé ce terme anglais, un peu fourre-tout à mon goût. Devant cet engouement mondial, communicants et publicistes ont largement repris les codes de l’art urbain pour vendre et communiquer sur tout et n’importe quoi (pub pour l’automobile, parfum, etc) ; l’art urbain est progressivement devenu à la mode et vendeur. Il faut se souvenir qu’il y a 20 ans, le fait de peindre dans la rue avec des bombes de peinture n’était pas forcément compris par le grand public, et souvent vu comme un acte de vandalisme.

Cette popularité est allée de paire avec l’explosion du street art sur le marché de l’art, en témoignent les records de ventes aux enchères des œuvres de Banksy dernièrement.

Certains artistes sont passés d’une pratique illégale et anonyme dans la rue à la production de toiles vendues dans des galeries spécialisées, à des prix exorbitants. Personnellement, je trouve que cette marchandisation a fait perdre un peu de sens et de substance à ce mouvement artistique.

En parallèle on observe un regain d’intérêt des villes pour les fresques murales monumentales comme à Paris dans le 13eme arrondissement et partout dans le monde (sauf au Havre malheureusement). Ces fresques sont commandées par les municipalités en partenariat avec les bailleurs sociaux. C’est un bon moyen pour un artiste de vivre de son art.

Quels sont les artistes qui ont donné les lettres de noblesses à cet art ?

Je dirais pêle-mêle Ernest Pignon-Ernest, Blek le rat, Banksy, Blu, JR, Os Gemeos, Bando, dondi white, Miss Van, Miss Tic.

Quel est la fresque que tu as réalisé dont tu es le plus fier ?

Je dirais la fresque participative réalisée en 2016 à Danton avec Gaël Dezothez et les habitants du quartier.

Tu as crée il y a quelques années le collectif Les Amarts peux tu nous dire d’où vient cette idée et quel est aujourd’hui son objectif ?

Quand je suis revenu au Havre en 2012, j’ai trouvé la ville triste. Il n’y avait rien sur les murs, les collages étaient passés au karcher, les tags et graffitis repassés systématiquement…alors que dans de nombreuses villes en France et partout dans le monde, les rues se paraient de fresques colorées.

En partant de ce constat, je me suis dit qu’il serait intéressant d’utiliser les vitrines vides de commerces vacants pour exposer des œuvres d’artistes havrais. C’était une manière de détourner ces espaces et aussi de ne pas être inquiété par le service propreté de la municipalité

De fil en aiguille nous avons organisé des événements plus conséquents comme l’exposition au « Loft » puis « La Friche »

Quel est la création majeur des Amarts ?

Notre résidence artistique dans le quartier Danton en 2016 : « La Friche »

Comment fait on pour faire parti du collectif ?

Le collectif est à la base une réunion de copains de longue date, venant tous du graffiti. Il s’est ensuite étoffé par le biais de rencontres, de projets communs. Je dirais donc qu’il n’y a pas de candidature à envoyer ou de cv à présenter, l’effectif croit naturellement, depuis sa création, par cooptation.

J’ai créé ce collectif pour fédérer des artistes autour de projets ambitieux, toujours en lien avec l’espace public.

Revenons à toi et parlons un peu des escaliers de Montmorency, es ce à ce jour ta création la plus importante ?

Oui sans aucun doute

D’où te vient cette idée ?

Des différentes anamorphoses et peintures murales que j’ai pu voir sur internet ou in situ. Cet escalier Montmorency a été omniprésent dans mon enfance et ma jeunesse (mes parents habitent encore rue Montmorency). Un jour, il y a deux ou trois ans ça m’a sauté aux yeux comme une évidence, cet escalier se prêtait à la réalisation d’une fresque verticale. Le côté participatif est venu plus tard lors de l’écriture du projet.

C’est une oeuvre participative, comment s’organise t’on pour un tel projet ?

Il a fallu mettre en place une organisation simple et efficace pour permettre au maximum de personnes de peindre durant les deux semaines du chantier. Tout a été pensé dans ce sens, le nombre de pinceaux, de contenants, de litres de peintures, etc. La sous-couche a été réalisée en amont par les enfants du centre de loisir Massillon, moi même et ma mère. La semaine suivante, les enfants ont  pu commencer à étaler les premières couches de peinture, suivis par les habitants du quartier et de nombreux Havrais et non Havrais). Nous avions prévu un tableau pour suivre l’évolution et la progression du chantier. A chaque couleur correspondait une lettre, nous pouvions ainsi voir en temps réel les couleurs utilisées sur chaque palier.

Le temps était idéal pour peindre, nous avons eu beaucoup de chance !

Quel est ton prochain projet ?

Après l’escalier de Montmorency j’aimerais continuer dans le monumental ! Il n’y a pas de projet en cours. Autrement, j’ai envie de prendre du temps pour peindre pour moi et développer ma peinture personnelle dans mon atelier/galerie La Cymaise. Et j’ai envie de prendre du temps pour voyager et m’enrichir de nouvelles expériences.

Y a t’il un projet un peu fou que tu rêverais de réaliser ?

Je rêve de peindre un pignon d’immeuble au Havre ou ailleurs

Tu as beaucoup voyagé mais toujours Havrais quel est ton attachement à notre ville ?

Je dirais en priorité la famille, puis les amis et enfin la ville en elle-même. Nous vivons dans une ville agréable (surtout l’été) à la luminosité incroyable,  et à deux pas de la mer. J’y suis revenu en 2012 pour débuter mon activité de peintre muraliste. C’était une bonne idée car j’avais déjà un petit réseau, et un espace de travail.

Peux tu nous citer pour terminer 3 artistes que tu apprécies ?

Il y en a beaucoup trop, c’est quasi impossible de répondre à cette question ! Je dirai Nelio, Felipe Pantone, Zoer, tous artistes internationaux. Autrement en local je dirais Vostfr, Teuthis, Ratur mais il y en a tant d’autres !

Entretien réalisé par Grégory Constantin,  Décembre 2018

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