Lors d’un concert à l’ Imaginearium, j’ai eu l’occasion de croiser Eddy Simon, écrivain et scénariste de Bande Dessinée. L’artiste sera présent avec le dessinateur Jak Lemonnier, à la Galerne, le 17 novembre à 15h, pour présenter le splendide “D’un Renoir à l’autre”. Une double occasion de lui demander de m’accorder un entretien sur son métier et son travail.

Bonjour Eddy, peux-tu nous dire d’où te vient cette passion pour la Bande Dessinée ?

J’ai toujours lu de la Bande dessinée pour la simple et bonne raison que mon père était lui-même un lecteur de BD. Chez mes parents, on trouvait Pilote, Charlie Hebdo, Hara-Kiri mais également des albums de Lucky Luke, Astérix, le Grand Duduche, Reiser, Philémon, Tintin, Gaston Lagaffe… J’ai appris à lire en décryptant les bulles des cases de BD du journal de Mickey que ma mère m’achetait chaque semaine.

Quelles étaient tes BD préférées étant jeune ?

La passion entraine souvent chez moi une boulimie de connaissance. Je lisais donc tout ce qui me passait sous la main. J’achetais quasiment toutes les revues de BD distribuées en kiosque : Spirou, Tintin, Métal Hurlant, Fluide Glacial, Circus, A suivre, etc. Mon argent de poche, mes cadeaux étaient systématiquement convertis en albums de bandes dessinées et de ce fait j’adorais tout un tas de personnages en fonction de mes envies, mes humeurs, mes découvertes.

Tu as co-fondé le fanzine Sapristi et fondé le fanzine Dynamick’. Peux tu nous expliquer ce qu’est un fanzine et quelles sont leurs particularités ?

Le mot fanzine est la contraction du mot fanatique et du mot magazine, un fanzine est donc un journal réalisé par un fan pour bien souvent un lectorat de passionnés. On trouvait dans ces fanzines la publication de jeunes dessinateurs qui faisaient leurs premières armes. J’en ai publié à l’époque qui depuis sont devenus professionnels. Il y avait également au sommaire de ces revues des interviews de dessinateurs ou scénaristes connus et reconnus dans le métier. Mes fanzines me permettaient de rencontrer les auteurs que j’admirais dans des conditions privilégiées. C’était fantastique pour l’ado que j’étais ! J’y ai aussi testé, publié mes premiers scénarios.

Quels ont été tes premiers projets professionnels ?

Il y a eu deux étapes. Pendant 6 ans, j’ai travaillé comme directeur artistique et programmateur d’un festival d’art de la rue. Pour valoriser et communiquer sur ce festival, j’ai demandé à des dessinateurs comme Schuiten, Boucq, Hermann de me réaliser les affiches. Leur contact m’a redonné envie de faire de la BD. En 2009, j’ai contacté les éditions Petit à Petit pour qui j’avais déjà fait un bouquin mais qui n’avait rien à voir avec la BD et je leur ai proposé de scénariser pour leur collection de contes traditionnels en BD, des contes de l’Inde, pays que je connais fort bien. Ils ont tout de suite accepté et on a ensuite enchainé sur une adaptation du Kâma-Sûtra en BD. Ces albums étaient réalisés avec un collectif de dessinateurs et dessinatrices. Pour le Kâma-Sûtra, il y avait 20 artistes différents pour mettre en images mes récits. Avec plusieurs d’entre eux, nous avons eu envie de poursuivre l’aventure sur d’autres projets. Cela s’est concrétisé assez rapidement avec « Violette Nozière Vilaine chérie » chez Casterman avec Camille Benyamina, « Chroniques Ados » chez Jungle avec Amandine ou encore « Confidences à Allah » chez Futuropolis avec Marie Avril.

Comment travailles-tu avec les dessinateurs ? Arrive t-il que le dessinateur intervienne sur ton scénario et tes dialogues ou, inversement, arrive t-il que tu demandes aux dessinateurs de changer un dessin pour coller au mieux à ta vision du personnage ou du paysage ?

La bande dessinée est avant tout pour moi, une rencontre et un travail de collaboration pour créer le meilleur album possible. Une collaboration qui peut-être large avec un dessinateur mais aussi parfois, un coloriste et bien sûr, un éditeur voire un directeur de collection.

Ensuite, tout part de mon scénario qui est très détaillé. Je fais un découpage planche par planche puis case par case. Pour faire simple, j’indique au dessinateur le cadrage, le décor, les personnages et les dialogues. La réalisation d’une BD est très technique !

Pour autant, mon scénario n’est pas la bible absolue. Le dessinateur peut intervenir sur mes indications, me faire des propositions que nous travaillons ensemble. C’est une donnée essentielle pour que chacun s’y retrouve. Le dessinateur n’est pas un simple exécutant et il peut avoir des envies, des idées bien meilleures que les miennes. L’échange est un facteur primordial dans ce processus de création. On doit être sur la même longueur d’onde, laisser nos égos de côté pour réaliser le meilleur travail possible afin que le lecteur prenne plaisir à lire notre ouvrage.

Tu as travaillé sur de nombreuses bandes dessinées, quelle est celle dont tu es le plus fier ?

Chaque album est un objet de fierté pour différentes raisons. Je suis très fier d’avoir été le scénariste du premier album de dessinatrices talentueuses comme Camille Benyamina pour « Violette Nozière, vilaine chérie », Marie Avril pour « Confidences à Allah » ou encore Aurélie Guarino pour la série Namasté. Je suis fier que ma biographie sur Pelé avec Vincent Brascaglia soit traduite et publiée avec succès aux Etats-Unis alors que l’album a fait un flop en France. Je suis fier d’avoir collaboré sur deux beaux albums biographiques avec Joël Alessandra, fier d’avoir contribué au changement de style graphique de Jak pour le Renoir, fier d’avoir reçu des prix dans des festivals, d’avoir publié quelques succès,  bref, j’ai quelques raisons d’être personnellement satisfait de mon travail tout en restant humble et lucide.

Aujourd’hui, vis-tu uniquement de la vente de tes albums ?

Non. Comme de nombreux artisans du métier, je dois avoir un autre boulot pour gagner ma vie correctement. La BD ne rapporte pas grand-chose, c’est très précaire malgré une production qui pourrait laisser penser le contraire. Peu d’artistes de la BD vivent correctement de leur art.

Tu as été primé en 2015 du prix SNCF du Polar pour l’album “Rouge Karma”. Peux tu nous en parler ?

Rouge Karma est un polar qui se déroule en Inde. Une femme décide de se rendre dans ce pays qu’elle ne connaît pas pour retrouver son mari parti y travailler qui ne donne plus signe de vie. C’est une immersion dans la culture indienne mêlée à une situation géopolitique compliquée entre l’Inde et le Bangladesh. On y évoque notamment, la guerre de l’eau entre ces deux pays.

Tu as sorti, il y a peu de temps, le troisième album de “Namasté”, peux-tu nous parler de cette série ?

Namasté est une série jeunesse qui se déroule également en Inde. J’ai vécu pendant 5 ans dans ce pays. Je connais assez bien sa richesse culturelle, ses traditions surprenantes et sa politique particulière. J’ai donc envie de le raconter en échappant à la caricature dont il fait souvent les frais.

Namasté met en scène les aventures d’une petite fille, Mina âgée de 10 ans, qui perd ses parents dans une gare indienne lors d’un voyage touristique. Avec l’aide d’un jeune Sâdhu, Mina part à la recherche de sa famille mais découvre aussi les croyances du sous-continent tout en vivant de nombreuses aventures mouvementées. Le tome 4 qui s’intitule « Les griffes du Mande Barung » doit paraître en janvier prochain aux éditions Sarbacane. On y croisera le yéti…

Quels sont les sensations d’un auteur de BD lorsqu’il découvre pour la première fois les croquis du dessinateur ?

C’est toujours un moment magique, comme un cadeau que te fait le dessinateur. Lorsque je reçois les dessins, je suis comme un gamin impatient de découvrir ce que le dessinateur a réalisé. J’adore ce moment où tu es surpris par le travail du dessinateur !

Ensuite, mon regard se fait plus technique, je détaille ce qui fonctionne ou pas que ce soit dans le dessin ou mes dialogues puis je valide où on retravaille certains aspects.

Quelles furent tes sensations à la découverte des dessins de Jak Lemonnier sur votre travail en commun sur “D’un Renoir à l’autre “?

J’ai été plus qu’agréablement surpris, d’autant plus que Jak dessinait dans un style inédit pour cet album.  Je savais qu’il voulait  sortir de sa zone de confort mais je ne savais pas vraiment à quoi m’attendre. Jak a fourni un boulot bien au-delà de mes attentes. L’atmosphère générale, les personnages, les décors hyper détaillés, les couleurs… tout est remarquable dans son travail ! C’était un vrai challenge que d’œuvrer sur cet album se déroulant sur deux siècles avec de nombreux changements de lieux, d’ambiance, de personnages tout en gardant un rendu qui fasse référence et rend hommage au patrimoine artistique de Renoir père et fils. Chapeau l’artiste !

Ce qui m’a surpris en découvrant l’album, c’est le nombre de pages: 128, c’est peu commun pour une BD ?

C’est devenu assez courant en BD actuellement. C’est ce que l’on appelle un peu pompeusement un « roman graphique ». En même temps, pour évoquer la vie de la famille Renoir sur deux générations, il faut un peu de pagination. Impossible d’évoquer leur parcours dans un format classique de 46 planches.

Quels sont les projets sur lesquels tu travailles aujourd’hui ?

Je termine l’écriture d’une biographie romancée sur Sarah Bernhardt qui paraîtra début 2020 aux éditions Futuropolis avec Marie Avril au dessin. Un gros pavé de plus de 170 pages pour rebondir sur ta question précédente ! J’ai également un ou deux autres projets dont un avec Jak mais pas encore signé ou pas assez avancé, il est donc prématuré d’en parler plus en détail.

Combien de temps te faut-il pour réaliser un album ?

C’est très variable. Cela peut s’étaler de 1 à plusieurs mois. Cela dépend du sujet, de la pagination de l’album, du besoin de documentation, de l’inspiration aussi, bref, il n’y a pas de règles. Et même quand le scénario est bouclé, je continue de travailler sur certains passages, certaines scènes, des dialogues au fur et à mesure que le dessinateur me montre ses planches. On turbine sur un album, jusqu’au bout, jusqu’au moment où l’éditeur te dit qu’il doit partir à l’impression.

J’ai vu que tu avais participé au “Z’Estivales” en 2014. Qu’avais-tu proposé et le proposeras-tu dans un autre festival ?

Bulles en tête était un spectacle qui mélangeait spectacle vivant et bande dessinée. Le principe était de réaliser une BD en direct sur écran géant devant un public, public qui pouvait devenir acteur de cette BD. J’étais accompagné de deux dessinateurs et je jouais le Monsieur Loyal scénariste qui met en scène son histoire in situ. Nous avons joué ce spectacle à plusieurs reprises et il fonctionne assez bien. Je pense le proposer de nouveau dans des festivals dans un avenir proche.

Pour terminer cet entretien, peux-tu me présenter 3 artistes de la région Havraise que tu apprécies ?

Je vais rester dans le domaine de la BD. La ville du Havre peut s’enorgueillir d’avoir de très bons dessinateurs au style très personnel et identifiable. Il y a Edith, Riff Reb’s, Kokor et bien sûr Jak ! Zut, cela fait 4 artistes ! Pas grave, je ne peux que conseiller de découvrir leurs très beaux albums !

Entretien réalisé par Grégory Constantin, Octobre 2018

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