L’architecture est un sujet rare sur le Boulevard des Artistes, nous vous invitons à partager la passion et découvrir le talent Bench, artiste Havrais qui a depuis quelques années posé ses valises dans la ville normande de Saint-Lô. Peut-être qu’après avoir lu ses lignes vous ne regarderez plus ses deux villes de cœurs de la même façon. 

Bonjour Bench pourrais-tu me dire quel était ton rapport avec l’architecture lorsque tu étais jeune ?

Du plus loin que je m’en souvienne, c’est sur les bancs de l’hôtel de ville du Havre, sur lesquels je passais toutes mes journées de libres avec mes potes à l’adolescence, que j’ai commencé à avoir des réflexions sur le monde qui nous entoure.
Dans un décors de béton gris on cherchait notre place. Ensemble, on errait, on se questionnait, par exemple je me rappelle qu’on cherchait à connaître la hauteur de la tour et aussi celle de la croix de l’église Saint-Joseph. On levait la tête vers le ciel car on n’avait que ça à faire!
Peu après, le skateboard nous a amené à chercher des spots intéressants, c’était une forme de recherche architecturale qui nous faisait parcourir la ville sur nos roulettes.
Les lignes courbes du volcan et de la banane faisaient partie des meilleurs endroits pour skater.
Avec toutes ces gamelles que je me suis prises je peux dire que l’architecture du centre m’a vraiment marqué physiquement !
On allait aussi pêcher dans le port derrière les embarcadères. Cela permettait d’avoir du recul pour admirer au loin l’architecture du centre-ville et sa skyline dans un moment de calme.
Ton parcours scolaire a donc été complètement lié à cette passion de jeunesse ?

Au lycée j’ai eu la chance de travailler sur la création d’un livre d’Yvan Le Soudier dans lequel il voulait référencer toutes les projets architecturaux du Havre de 1990 à 2004 environ.
Mon travail consistait à recueillir auprès des Havrais, en les abordant dans la ville avec un questionnaire, leur ressenti sur l’architecture qui les entoure. Je crois me souvenir que la majorité des propos n’étaient pas du tout valorisant à cette époque !
Après le bac, je me suis finalement orienté vers une licence de musicologie à Mont-Saint-Aignan, envie de creuser un peu plus le truc vu que je me débrouillais pas mal à la guitare.
Et puis décortiquer des partoches du Moyen-Age ça m’a vite ennuyé! Je préférais les cours d’histoire de l’art et je dessinais et caricaturais mes profs sur mes notes.
Au bout de quelques mois j’allais de plus en plus voir mes potes du Havre qui eux étaient inscrits à l’ENSAN, à Darnétal.
Je suivais et participais à leur cours, je les aidais à faire leurs maquettes.
Je m’éclatais bien plus en faisant cela…Il m’ont convaincu de passer le concours d’entrée pour l’année suivante et mon arrivée à l’école d’archi s’est faite tout naturellement.

Quels sont les architectes que tu appréciais particulièrement ?
Je n’avais pas de grandes connaissances à vrai dire. Venant du Havre je ne maîtrisais pourtant pas l’oeuvre de d’Auguste Perret.
En revanche, Oscar Niemeyer et les courbes de son béton blanc m’avaient influencé.
Et c’est surtout la musique qui me portait dans la création. Le Blues, le Rock et le Reggae. J’allais en cours, aux ateliers, avec ma guitare.
Quand on nous demandait de faire des croquis de relevés dans le centre de Rouen, je la prenais avec moi.
Lors d’un exercice de projet semestriel, je suis parvenu à me servir d’une partition pour la conception d’une maison !
Je continuais ma recherche musicale tout en suivant un enseignement architectural et je découvrais donc le travail des architectes au fur et à mesure.
A quel moment as-tu commencé à produire tes créations ?

J’ai toujours eu en moi le besoin de créer et cela m’a pris beaucoup de temps avant de savoir comment. La thématique, la technique ça se mûrit tout ça ! J’ai passé énormément de temps dans mon monde à réfléchir…
Enfermé dans mon cerveau je me suis souvent senti en décalage sur de simples interactions sociales. Avec le recul, cela m’a causé des torts. Mais je cherchais tout simplement, estimant que c’était ça le plus important! Et je cherche encore.
Au début mon but était de faire rire mes potes avec des visuels que je réalisais le plus vite possible où je mettais en scène des goélands dans la ville.
Et puis à partir de là j’ai eu quelques encouragements pour aller plus loin.

Quel en a été l’élément déclencheur ?

Au bout de 10 ans à évoluer dans les métiers de l’architecture je suis très fier de mes participations pour la conception de certains projets.
Mais dans cette filière j’ai également accumulé beaucoup de frustration…D’autres le diront aussi!
Il m’a fallu du temps pour comprendre comment fonctionne le marché et calmer mes ardeurs de jeune créateur.
Après avoir bien évolué dans le métier, j’ai eu la chance de me retrouver au chômage il y a deux ans de cela! GE-NIAL ! Du temps pour créer CE QUE JE VEUX ! Toute cette frustration à transformer en créativité et avec le temps pour le faire car hors de question de se la couler douce.
A ce moment, j’avais assez de connaissance et de pratique pour apporter mon regard sur l’architecture de la reconstruction et commencer à produire comme je le souhaitais.

Comment définirais-tu ton travail ? 
Mon travail consiste à révéler à ceux qui le regardent ce qu’ils ont en réalité déjà devant leurs yeux. L’architecture de la reconstruction est présente dans plusieurs villes normandes. A l’époque, les architectes ont mis en oeuvre et dans un temps record, les meilleurs moyens à leur disposition pour reloger la population et relancer l’activité. Les villes ont donc pu être rebâties selon des principes avant-gardistes qui n’ont pas forcément été compris tout de suite.
Avec le temps, les usages se sont modifiés, les habitants ont dû apprivoiser leurs nouvelles villes et le béton grisâtre a fini par instaurer une certaine morosité.
La mission que je me suis donnée est d’essayer de sublimer cette architecture de qualité à travers des tableaux alliant perspectives, textures, couleurs vives, cadastre et parfois même les plans d’époque scannés et retravaillés.
Je tente de changer le ressenti des habitants et les incite à contempler leur patrimoine architectural dans lequel ils évoluent quotidiennement.
Et quel est ton processus de travail ?
Je chasse la lumière et les perspectives en immortalisant les points de vue que je trouve intéressant avec mon smartphone. Au cours de nombreux vagabondages à divers instants du jour et de la nuit je lève la tête, je m’aventure parfois dans les limites du privé-public pour trouver l’angle de vue parfait.
A la suite de cela je retouche mes trophées sur ordinateur qui me permet de découper pendant des heures chaque élément de la photo prise. Je cherche une harmonie visuelle en colorisant ou modifiant les textures de l’architecture sur fond de couleur unie. J’atténue la volumétrie en créant des vides, des silences pour trouver une simplicité et une efficacité. Je dis cela car c’est pour moi un travail très similaire à la création musicale.
Tu vis aujourd’hui à Saint-Lô, quelle en est la raison ? ?

C’est le travail qui m’a amené à Saint-Lô après être donc passé par Rouen, Lisbonne, Toulouse et un bref retour au Havre. J’ai mené une vie de célibataire carriériste avec un statut de professionnel indépendant ce qui m’a permis de voyager souvent et facilement. Je suis arrivé à Saint-Lô car j’ai eu la volonté d’intégrer une équipe en entreprise et la filière était bouchée au Havre en 2012 donc…je me suis dit pourquoi pas ! J’ai pu découvrir alors une autre ville reconstruite ce qui m’a permis d’entretenir mon regard architectural. J’y ai ensuite fondé ma famille, le cadre de vie y étant très propice.

Pour toi Le Havre et Saint-Lô se ressemblent pour plusieurs raisons peux-tu nous expliquer pourquoi ?
En arrivant à Saint-Lô j’ai ressenti une impression similaire à celle que j’avais en grandissant au Havre. Le tracé des rues sous forme d’îlots rectangulaires n’y étant pas pour rien je pense. Les arcades de la place du Général de Gaulle ne sont pas sans rappeler celles de la rue de Paris au Havre. L’obus resté figé dans Nôtre-Dame à Saint-Lô, les impact de balles dans Nôtre-Dame au Havre…Des monuments religieux ayant traversé le temps et la guerre aujourd’hui fusionnés avec l’architecture moderne. L’ovni de la médiathèque venu se poser dans le master-plan…Des émergences créant une skyline…La topographie de la ville, ambiance ville basse et ambiance ville haute…j’en passe
Les gens que j’ai pu rencontrer en m’installant m’ont inspiré également à travers le peu d’éloges faites à la ville. Cela m’a orienté dans le choix de modifier leur regard.
Comment as-tu vécu la période de confinement ?
J’ai vite compris que je ne pourrais pas partir à la chasse aux points de vue de si tôt…J’ai donc lancé un appel sur ma page Facebook en organisant un concours de photos à m’envoyer si on pensait avoir une vue atypique du centre-ville depuis chez soi à partager. J’ai reçu environ 70 participations qui se sont transformées après sélection en une série spéciale confinement de 14 tableaux.
Pour moi le confinement a été plutôt productif donc et les photos reçues m’ont permis de voyager en restant chez moi !
J’ai la chance d’avoir un jardin ce qui était très pratique avec le beau temps que nous avons connu pour y lancer les enfants et obtenir du calme pendant que je travaillais sur mon ordi ! Par contre, au bout de deux mois, il était vraiment temps de pouvoir ressortir !
Quelles sont les photos et villes qui t’ont le plus inspirés ?
J’ai reçu en majorité des photos du Havre et de Saint-Lô. N’étant pas un artiste très connu j’ai beaucoup eu de retour de mes contacts perso. La série spéciale est donc dédiée à mes deux villes et je suis très content d’avoir pu travailler plus en détail sur ma ville natale car mes productions étaient axées sur Saint-Lô jusqu’alors.
Il t’arrive donc de travailler sur des panoramas que tu ne connais pas ?
Oui, j’ai par exemple reçu une commande de couverture de livre mettant en avant la ville de Veulettes-sur-Mer que je n’ai jamais visité. J’ai travaillé à partir de photos que je n’avais pas prises. #clientcontent donc cool !
On m’a plus récemment demandé de travailler sur des villes où je ne suis pas encore allé en Espagne.
Cela me permet d’adapter mon travail à une autre architecture que celle de la reconstruction en appliquant ma technique graphique et c’est tout aussi agréable !
Quels sont les lieux ou tu as pu exposer ton travail ?

Ma première expo était une double exposition dans deux restaurants situés chacun à l’opposé de la ville et les tableaux montraient des points de vues se trouvant entre ces deux lieux.
Cela a donné naissance à un jeu ludique de parcours entre ville basse et ville haute.
J’ai par la suite exposé ce même travail au Musée des Beaux-Arts de Saint-Lô qui accueille aujourd’hui une fresque réalisée sur vitrages l’année dernière.
Puis, cette série s’est retrouvée sur les murs de l’Ehpad de la Fontaine Fleury.
Avant cela, la mairie de Saint-Lô m’a commandé une vitrophanie à l’occasion du 75ème anniversaire de la libération sur la façade du bâtiment. Elle est encore en place à ce jour !

Et sur le Havre ?
Pour le moment les seuls tableaux qui se trouvent au Havre sont sur les murs des particuliers qui m’en ont commandé ou acheté un.
L’un d’entre eux est le gagnant du jeu spécial confinement à qui j’ai pu offrir sa toile issue de sa participation car c’était le prix du concours !
Donc pas de lieu d’exposition à proprement parlé !
As tu une exposition prévue prochainement ?

J’ai très envie de montrer mon travail fourni pendant le confinement et je commence à me pencher sur le sujet.
Je ne connais pas encore le lieu qui m’accueillera mais il y en aura bien un !

Peux-tu nous présenter trois artistes de la région Havraise et de Saint Lô que tu apprécies ?

Pour la région Havraise, ou plutôt haut-normande, je suis obligé de citer des artistes comme Authouart ou Vervisch dont quelques reprographies se trouvaient sur les murs chez mes parents. Alors que ces derniers préféraient regarder la télé au moment des repas, je me noyais littéralement en contemplant leurs oeuvres mélangeant ainsi architecture, pop culture et surréalisme.

J’ai la chance de compter parmi mes amis des artistes havrais tels que Mascarade ou Teuthis, qu’on ne présente plus. Flör et Noze font aussi partie de mes amis proches. Nos discussions m’influencent beaucoup même si elles sont très souvent insensées on se comprend totalement ! On délire ensemble tout simplement.

Pour la région Saint-Loise, le collectif Art Plume regorge d’artistes très doués que j’ai eu plaisir à rencontrer et découvrir en m’installant ici.

Je pense à François Fichet, artiste-peintre, et son travail tourmenté sur les mouvements du corps humain.
Jérémy Astrié, designer, développe son art avec le bois, la vannerie et le rotin comme peu de personnes le font en France.
Enfin, je me suis laissé piquer d’intérêt pour le travail géométrique de Monsieur Charles, tatoueur et compagnon musical.

Entretien réalisé par Grégory Constantin Juillet 2020

Contribution à la rédaction Fabrice Autret

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