Après plusieurs représentations en 2012, le spectacle ‘Dans la joie et la bonne humeur’ sera joué sur les planches du Sirocco à Saint-Romain dans le cadre du festival du théâtre amateur. A cette occasion, nous avons rencontré Mélanie Dubois Caroff, directrice de la jeune compagnie La Servante, qui a bien voulu répondre à nos questions.
Bonjour Mélanie, pourriez-vous nous expliquer quel a été votre parcours avant de diriger la compagnie La Servante ?
Bonjour, j’ai commencé par un bac littéraire option théâtre au lycée Porte Océane, et en parallèle j’ai participé à l’Atelier théâtral dirigé par Claire Thomas pendant trois années. Nous avons monté ‘Les troyennes d’Euripide’, ‘Les oiseaux’ d’Aristophane et ‘Peer Gynt’ d’Ibsen.
Ces premières expériences ont été capitales dans mes choix d’orientation professionnelle. Un espace nouveau s’ouvrait tout entier à moi: un plateau, du texte, le jeu, un lieu où, très jeune adulte, mon existence prenait tout son sens, un lieu où sont venus se consolider la confiance, la liberté, le plaisir et le partage. Ensuite, je suis partie à Rouen faire un Deug de lettres modernes et j’ai été admise au Conservatoire régional d’art dramatique.
Très rapidement j’ai souhaité passer les concours nationaux, et j’ai été reçue sur concours à l’Académie théâtrale de l’Union où j’ai reçu une formation intensive de comédienne pendant deux ans. Après je suis partie vivre à Paris, j’y ai assez peu travaillé car j’étais beaucoup en tournée. Ce furent de très très belles années faites d’amitiés et de rencontres.
Mon parcours de comédienne fut condensé et d’une richesse incroyable. Et effectivement, j’ai eu l’opportunité de partager du temps avec des personnalités, des artistes que j’admire beaucoup comme Silviu Purcarete, Eugène Durif, Christine Pignet, Robert Cantarella, Florence Giorgitti, Denise Bonal, Emilien Tessier et d’autres encore plus discrets comme des scénographes, des régisseurs ou machinistes sans qui le spectacle n’existerait pas.
Quand on est en création on vit plusieurs semaines tous ensemble, dans des gîtes ou à l’hôtel, dans des villes inconnues: on se recompose une famille et on se découvre en partageant un quotidien.
Et puis effectivement, il y a eu des théâtres incroyables, le théâtre national de Bucarest où l’on jouait Don Juan est celui qui m’a le plus fascinée: gigantesque ! Cette tournée se déroulait dans toute la Roumanie, en plein mois de décembre…on voyageait en car, des paysages renversants et un public très à l’aise avec la langue de Molière…un régal. Le Théâtre Gérard Philippe m’a lui aussi énormément impressionnée, c’était ma première scène parisienne.
Oui, car ma vie de nomade n’était pas vraiment compatible avec mon désir de vie de famille. C’est compliqué quand on est toujours en mouvement.
Alors je me suis re-sédentarisée. Au fil du temps, je me suis orientée vers la transmission de la pratique théâtrale et aujourd’hui dans la mise en scène et direction d’acteurs. J’ai donc travaillé pour de nombreuses structures du Havre et de son agglomération comme Temps libre, l’Aglec, l’association familiale d’Octeville-sur-Mer, le théâtre des Bains Douches, l’éducation nationale, l’IUT et des entreprises comme Groupama Transport. J’ai aussi participé à des créations en tant que comédienne.
Je suis revenue au Havre car c’est bien ici que l’essentiel se trouve: ma famille et mes amis. C’est une ville au climat un peu rude à mon goût, mais elle reste mienne, attachante et je la connais bien. Enfin, il y a la mer, élément indispensable, lieu de ressource, de farniente quand le temps s’y prête, et de bonheurs partagés avec mon mari et nos enfants.
Créer la compagnie et lui donner un nom s’est fait tout naturellement et en parallèle de ma première création ‘Hard Copy’ d’Isabelle Sorente. Avec mes quatre comédiennes, nous répétions depuis plusieurs mois chez Vincent et Pascale Le Bodo à Mamy Blue, et pour faire exister le projet, le donner à voir aux spectateurs, il fallait créer une entité, un groupe officiel, donc une association. Ce fut chose faite en 2009. Et puis, il y avait déjà ce désir d’indépendance, monter des textes qui m’animent, diriger des personnes que j’aime, créer de l’énergie en fédérant des individus autour d’une même histoire.
Plus jeune, j’ai effectivement eu ce passé de comédienne, bien que je le sois toujours car j’aime tant monter sur scène (!), mais néanmoins quand on est comédien, on est aussi dans la salle à regarder les autres répéter. J’ai toujours aimé assister aux répétions, comprendre le cheminement de la pensée du metteur en scène, ses techniques, ses attentes. En regardant, en écoutant, on apprend beaucoup. Et ce travail que je fais aujourd’hui est lié à tout cela. Il y a certains metteurs en scène qui vous font totalement confiance et vous laissent libre, presque trop, de toute proposition. D’autres au contraire qui vous contraignent, vous empêchent de faire. Quand je dirige, je pratique les deux méthodes et d’autres viennent s’ ajouter dans le respect des limites de chacun.
J’essaie surtout d’être au maximum dans l’échange, de respecter cette première triangulaire entre l’auteur, l’acteur et ma perception. Soulever les problématiques de la vie autrement, car sur un plateau il y a la liberté, et j’aime cette liberté, elle est vitale et créatrice. Se questionner autrement sur ce drôle de monde dans lequel nous vivons et donner à voir, à entendre notre histoire au public.
Le sujet de la pièce de Sylvain Levey est finalement assez grave: il y est question de licenciement, de ses conséquences sur les salariés et dans la vie des gens.
C’est un regard sur notre société avec ses accents comiques et ses grands drames. Sylvain Levey la qualifie de pièce politique. La pièce et son traitement sont à la fois graves et légers car la vie continue, elle doit d’ailleurs se poursuivre coûte que coûte.
L’histoire est donc celle de Bruno, un DRH chargé de licencier du personnel. On est dans un contexte de délocalisation. Son couple peu à peu se défait, s’étiole et se retrouve anéanti. Et puis il y a ce drame: Michel un syndiqué qui ne supporte plus la situation et qui décide de mettre le feu à l’usine et de disparaître dans les flammes.
C’est une histoire terrible mais qui par son écriture reste dotée de moments drôles, décalés et profondément humains.
Dix acteurs jouent dans cette pièce, pouvez-vous nous les présenter ?
Les dix comédiens de ce spectacle sont tous des amateurs. Le groupe s’est constitué il y a trois ans. Avec l’arrivée des bébés, la vie professionnelle, la troupe bouge, s’étoffe et grandit.
Il y a deux hommes et huit femmes…et oui les hommes sont une denrée rare !!! C’est une joyeuse petite troupe, vive et chaleureuse. Dans la journée, chacun est très occupé par son activité professionnelle, alors les temps de répétitions sont pour eux un espace de détente, de retrouvailles, de complicité et de recherche collective.
Quelles sont les joies et les difficultés de diriger un tel spectacle ?
Diriger une équipe de comédiens amateurs est une très belle aventure dans la mesure où personne ne vient sous la contrainte. Et quelque soit le spectacle.
Tout le monde est présent pour son plaisir et pour se retrouver. Pas plus tard que dimanche dernier, nous avons passé la journée au Siroco pour faire du travail de détails. Dehors la neige tombait, il n’y avait pas un bruit et nous étions tous réunis pour une grosse journée. J’aime particulièrement ces ambiances.
On cherche, on essaie, on se trompe, on recommence, on fatigue, on essaie à nouveau… Nous sommes en immersion pendant plusieurs heures, avec des pauses casse-croute, café. On prend des nouvelles, on papote, on chante…enfin surtout eux car moi je suis toujours dans la salle à faire travailler certains ! La difficulté que ce soit pour ce spectacle ou un autre c’est le temps… nous n’en avons jamais assez.
C’est pour cette raison aussi que j’essaie de faire tourner le même spectacle plusieurs fois, dans des lieux différents et sur plusieurs périodes dans l’année. Car lors d’une reprise, on s’accorde du temps pour approfondir des scènes, on cherche encore à aller plus loin, à gagner en justesse, en vérité..
Et puis monter un spectacle demande beaucoup d’énergie, je me refuse aujourd’hui à ne jouer que deux ou trois soirs. Il faut valoriser le travail qu’il soit amateur ou professionnel, et le rendre pérenne. Pour chaque spectacle, les choix en matière de décors sont de l’ordre du minima…quelques chaises, du mobilier mobile, des accessoires légers. Tout d’abord parce que je préfère suggérer que représenter, et aussi parce que la contrainte c’est l’absence de lieu fixe destiné à la compagnie. Je ne peux pas stocker, alors on fait simple et efficace.
Voilà c’est une troupe très participative et chaleureuse, c’est juste qu’il faut être méthodique sur l’organisation…mais ça c’est ma partie! En résumé, sur tous mes spectacles je prends beaucoup de plaisir, les comédiens aussi…le public…visiblement aussi!
Transmettre le théâtre passe par la scène donc le public, c’est pour moi une évidence. D’abord parce qu’être sur scène c’est bon et délicieux. Transmettre le plaisir. Dépasser son trac, ses appréhensions et le jugement. Se laisser aller à autre chose, devenir autre.
Et aussi parce que monter sur scène c’est venir raconter une histoire. Donc il faut se confronter au public. Alors chaque année, des projets sont lancés, ce sont des aventures complètes qui seront données à voir les soirs de représentation. La transmission s’opère dans la confiance, le respect et le rire.
Quand un comédien ne trouve pas, j’aime bien faire le clown et montrer des possibilités de jeu en exagérant ou pas. Et puis il faut du temps pour apprendre à se connaître, alors ne pas trop bousculer mais un peu quand même !! Je déteste m’ennuyer au spectacle, j’ai l’impression de perdre mon temps, donc quand on répète, je suis aussi dans cette dynamique: comment va-t-on s’y prendre pour que le spectateur ne décroche pas, reste dans notre histoire?
Je suis très attachée au rythme, à la cadence. Transmettre, diriger une équipe c’est être ensemble, un collectif, des individus, mais avant tout un collectif. Jouer ensemble, raconter ensemble, vivre ensemble quelques heures. Se supporter parfois !!!!
Enfin transmettre c’est aussi inciter à la découverte: faire des lectures, aller au spectacle, découvrir un lieu, observer la nature humaine sans jugement particulier, repérer des petites choses et les conserver précieusement…
Pour cette année 2013, la reprise de « Dans la joie et la bonne humeur ». Plusieurs dates se profilent encore, à suivre! Avec la troupe d’Octeville, je monte « La ballade des planches » de Jean-Paul Alègre. Un auteur que j’ai déjà monté (Lettres croisées). Il est très attachant et son écriture est très abordable pour un groupe de débutants.
Cette création sera présentée le 18 juin au Poulailler. Avec l’autre troupe, nous partons sur un texte de Joël Pommerat. Un artiste que j’admire profondément, sur lequel j’avais déjà travaillé avec « Mon ami », et avec lequel j’ai eu l’opportunité de faire un stage il y a quelques années. J’aime son écriture, son rythme et les réalités qu’il exploite. Cette création sera présentée les 22 et 23 juin au Poulailler.
Enfin, les groupes se retrouvent pour une grande soirée le samedi 29 juin à Octeville-sur-Mer pour présenter leurs créations. La compagnie reversera une partie de la recette à la ligue contre le cancer. Et puis un spectacle professionnel cette fois, avec Ismaël Habia des Improbables, que je mets en scène sur son prochain one-man show…drôle et philosophique…les premières dates sont pour octobre… A suivre !
Une bonne année !!!
Et plein d’autres choses encore !! Alors mes voeux….Mettre en scène, écrire, jouer! Et puis trouver un lieu fixe pour ma compagnie…ce qui n’est pas simple… En effet, avec les membres très actifs et formidables de la compagnie nous avons réitéré une demande de local auprès de la municipalité. La réponse est toujours négative. Il devient assez urgent pour la compagnie de disposer d’un espace dédié à son travail.
Les artistes sont confrontés à cette difficulté majeure et il faut trouver des solutions. J’ai gratté pas mal d’Astro en ce début d’année…je vous confirme que je ne suis toujours pas millionnaire, et un mécène, par exemple, nous permettrait de prospérer encore plus et surtout de travailler dans des conditions bien plus favorables.
Au plaisir d’échanger et rendez-vous le samedi 2 février à 18h au Siroco à Saint-Romain!
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