Jak Lemonnier dessine depuis plus de 30 ans des bandes dessinées, l’artiste a publié une trentaine d’albums pour les petits mais aussi pour les grands. J’ai profité de la sortie cet été du Tome 5 de « La bande à ED » et « D’un Renoir à l’autre », pour l’interviewer, le dessinateur nous livre ici quelques réflexions sur son parcours de dessinateur.
Bonjour Jak, tu dessines depuis 30 ans, c’est un long parcours mais pourrais-tu nous le résumer en quelques lignes ?
Ma première publication professionnelle remonte à 1983, il y a 35 ans, avec ma participation sous le pseudonyme de Jakez Bihan au « Neuvième cauchemar » un album collectif d’auteurs Havrais. J’ai ensuite publié dans différents journaux de bédé de l’époque ( Censuré, Fluide Glacial, BD Adult etc…). De 1987 à 2002 j’ai fait une douzaine d’albums « pour adultes » avant, en 2000, de passer à la bande dessinée « tout public » ( une vingtaine d’albums).
D’où vient cette passion pour la BD ?
Je suis tombé dedans quand j’étais petit. Je suis né en 1958, en 1961 ma mère a acheté le premier album d’Astérix et ensuite tous les autres à leur sortie, j’ai donc été élevé à Goscinny et Uderzo . Et puis il y avait « l’ami public n°1 » à la télé avec Pierre Tchernia qui nous montrait les coulisses des dessins animés de Walt Disney. Je me suis dit à 10 ans : « Plus tard, je ferai Walt Disney comme métier ! ».A 14 ans j’ai découvert Gotlib dans Pilote et je me suis dit que finalement je ferai Gotlib comme métier.
Quels sont les auteurs et dessinateurs que tu apprécies ?
Pour moi, il n’y a pas mieux que Goscinny et Uderzo.
Mais y’en a plein d’autres que j’apprécie, en vrac et sans classement : Gotlib, Gir/Moebius, Manu Larcenet, Daniel Goossens, André Franquin, Gilbert Shelton, Robert Crumb, Hergé, Lewis Trondheim, Riff Reb’s, Kokor, Edith, Julien Neel, Blutch…Bon j’arrête là, mais y’en a plein d’autres.
A quel moment as-tu senti que tu pouvais en faire ton métier ?
Après avoir foiré les Beaux-Arts en 1977, je ne savais pas quoi faire, j’ai fait un stage payé à 70% du smic pour être aide-opérateur en industrie chimique et j’ai travaillé 6 mois dans une boîte de mélange plastique. Après j’ai commencé à faire des enseignes peintes pour les magasins, des affiches, des ateliers de bédé et de guitare dans les CLEC et je cherchais à me faire publier. Après quelque temps à ce rythme, je me suis rendu compte que je faisais de la bédé au quotidien et que ça pouvait ressembler à un métier. De toute façon je ne sais rien faire d’autre.
Quand j’ai commencé, je travaillais à la plume et au pinceau, à l’encre de chine sur du beau papier Schoeller. Pour la couleur, il fallait faire tirer un bleu par l’imprimeur et colorier dessus à la gouache ou aux encres de couleur. Et puis, à un moment, dans les années 1990, il est devenu impossible de trouver des plumes bien embouties, elles déchiraient le papier et Schoeller ne fabriquait plus son papier. J’ai dû m’adapter et j’ai commencé à dessiner au feutre sur des feuilles de papier machine. Et puis avec l’informatique, c’est moi qui fais tout : je scanne mes pages moi-même quand avant il fallait un scannériste, je fais mes couleurs dans Photoshop, plus besoin de faire faire un bleu, je fais le montage de ma bédé moi-même, pas besoin de maquettiste, j’envoie les fichiers à l’imprimeur et je valide le bon à tirer. Je fais 4 métiers maintenant.
Comment vois-tu l’avenir de la BD ?
La bande dessinée reste un moyen d’expression unique et irremplaçable. Elle marche très bien commercialement, mais le système du circuit du livre fait qu’il est très difficile d’en vivre pour un auteur. La bédé en numérique ne trouve pas son public ou alors dans des formats étudiés spécialement pour le numérique. Je crois que la bédé ne va pas disparaître au profit d’autres médias, mais il va falloir qu’elle se réforme avant qu’il n’y ait plus d’auteurs.
Comme dit précédemment, c’est très difficile d’en vivre. Ca dépend des ventes. Tu sais qu’un auteur touche en moyenne 7% du prix du livre ? A 12€ le bouquin, imagine combien il faut en vendre pour avoir un smic. Je fais donc en plus de la bédé, des dessins de communication d’entreprise, des affiches et tout ce qui se présente et qui se dessine.
Comment décrirais-tu ton style de dessin ?
J’ai deux styles, humoristique ou réaliste. Disons un style franco-belge classique en humour ( Léo et Lu, La bande à Ed, Robinson) et un style réaliste un peu caricaturé pour le reste ( Renoir, bédés adultes).
Parlons un peu de ton actualité, cet été sort le 5ème tome de La Bande à ED peux-tu nous présenter tous les personnages ?
La bande à Ed, c’est une bande de jeunes qui cumulent les handicaps :
-Ed est un handicapé moteur en fauteuil, un chaisard comme ils s’appellent, Sam est obèse et noir ( ce qui dans notre société peut constituer un handicap), Gad est nain et maghrébin( handicap aussi) , Chang est (très) malvoyant et asiatique( handicap), Tommy est « spécial » , un peu autiste quoi, Katy est une fille ( premier handicap dans notre monde macho) et blonde ( deuxième handicap) .Depuis quelques albums il y a aussi Arnaud qui est malentendant et qui traîne avec la bande.
J’ai rencontré Georges en 1999 lorsqu’il m’a publié un livre pour enfant que j’avais fait avec ma femme Martine Gaurat, « Antoine et la poubelle ». Il venait de monter sa maison d’édition pour pouvoir publier ses livres qu’il n’arrivait pas à faire éditer. Puis il a commencé à éditer d’autres auteurs. Il avait fait des centaines de gags inspirés de ses enfants qu’il voulait faire en bande dessinée et il m’a proposé de le faire. Ainsi est née la série « Léo et Lu » qui en est à son huitième tome à Grrr…Art Editions.
Quand il a eu l’idée de la bande à Ed, il me l’a proposée aussi.
Depuis ce temps on a pris l’habitude de travailler par internet et par téléphone. Il m’envoie son scénario qui est principalement à base de dialogues, on en discute, je lui fais changer les choses qui ne me semblent pas fonctionner et ensuite je le mets en forme, je fais un story-board que je lui soumets pour approbation et ensuite je passe 6 mois à le réaliser
Le titre de ce 5ème tome c’est : « Va y avoir du sport ! »
Ca raconte les tribulations de la bande pour réussir à faire du sport adapté, à l’ècole, au stade et jusqu’au meeting d’athlétisme final.
Tu sors un autre livre en septembre dans un tout autre registre, le sujet principal tourne autour d’Auguste Renoir et son fils Jean, comment es-tu arrivé sur ce projet ?
C’est Eddy Simon qui me l’a proposé. J’avais envie de faire une pause dans le style franco-belge et ça me permettait de développer un autre style.
Cette fois-ci c’est Eddy Simon qui a écrit les textes peux-tu nous le présenter ?
Eddy est un scénariste passionné de bédé depuis son adolescence, où il a créé des fanzines de bande dessinée dans les CLEC. Il a plein de sujets d’intérêts qui deviennent souvent des bandes dessinées. On lui doit des histoires aussi variées que « Violette Nozière, vilaine chérie », « Confidences à Allah », la série « Namasté », « Rodin, fugit amor » ou « D’un Renoir à l’autre ».
« D’un Renoir à l’autre » est il une biographie illustrée des deux artistes ?
En quelque sorte, oui. A travers certains épisodes de leurs vies, on voit les relations étroites qu’entretenaient le père et le fils par leur art respectif, la peinture et le cinéma. On en profite pour découvrir leur cheminement au cours de leur vie.
A qui est dédiée cette bande dessinée ?
Elle est dédiée aux lecteurs curieux quel que soit leur âge.
Les deux livres sortent dans deux maisons d’éditions différentes Grrr…Art pour « La Bande à ED » et les Editions 21g pour « D’un Renoir à l’autre », peux-tu nous dire quels sont leurs rôles dans la création d’un album et sa commercialisation ?
Pour « La bande à Ed », l’éditeur est aussi l’auteur du scénario donc son rôle dans la création est clair. Pour la commercialisation, il a toujours eu des difficultés à se faire distribuer car les distributeurs qui sont en situation de quasi- monopole ne l’acceptaient pas, il a eu plusieurs expériences douloureuses avec des petits distributeurs qui l’ont arnaqué ou qui ont fait faillite, depuis quelques temps il a trouvé un distributeur qui fait à peu près correctement le boulot, mais les libraires refusent souvent de placer ses livres parce qu’ils sont déjà envahis par les « offices » que les gros distributeurs leur imposent. Le système du livre est vraiment mal foutu.
Donc il fait beaucoup de salons du livre dans toute la France ( cela représente 60% des ventes), il vend en ligne sur son site sécurisé http://grrrart-editions.fr ( 30% des ventes) et le peu qui est placé en librairie ( 10% des ventes).
Les éditions 21g sont spécialisées dans l’édition de biographie de gens célèbres ou marquants. Donc « D’un Renoir à l’autre » rentre dans une collection qui a déjà eu plusieurs opus, Gustave Eiffel, Rodin et Pelé (scénarisés par Eddy Simon).
Pour la commercialisation, je leur fais confiance, je sais déjà que ça sera un petit tirage mais qu’il devrait être bien placé.
Parmi tous les personnages que tu as créés, quel est celui dont tu es le plus fier ?
Je crois que c’est Robinson dont je suis le plus fier, d’abord parce que j’ai tout fait scénario et dessin ( avec les très belles couleurs de Myriam quand même) et parce que je crois avoir réussi à faire ce que j’avais en tête. Il y a eu 3 tomes publiés aux éditions Petit à Petit, mais il a fini au pilon et il n’existe plus en version papier. Alors je l’ai refait en version numérique. Vous pouvez maintenant vous procurer les 3 tomes de Robinson en version numérique sur Amazon ici.
Par le passé deux festivals de Bande Dessinée ont été organisés, y as-tu participé et penses-tu qu’il y ait une place pour un nouveau festival de BD au Havre ?
Oui, j’ai participé « aux Bulots » (en 2003 ?) et aux trois « Galéjades » à Fontaine-la-Mallet. Avec les bulots, qui a été un vrai succès, on a pu voir qu’il y avait la place pour un festival Bédé au Havre.
Aurons-nous prochainement le plaisir de vous rencontrer pour des séances de dédicaces ?
21g nous a déjà demandé de réserver pour Quai des bulles à Saint Malo à la mi-octobre et BD boum à Blois mi-novembre, on devrait aller à la Galerne aussi.
Il t’arrive de poser tes crayons pour gratter des cordes de guitare avec ta formation Les BROKEN ARMZ, peux-tu nous présenter les membres du groupe ?
Il y a Stéphane au chant et à la guitare acoustique, Jean à la basse, Antoine-Marie à la batterie et moi-même à la guitare électrique. Moyenne d’âge 58 ans , des vieux rockers, quoi…
Quel genre de musique proposez-vous ?
Un genre de Rock un peu punk ( avec du son saturé) à base de reprises variées de Neil Young, Patti Smith, REM, Bauhaus, David Bowie, Skunk Anansie, Last Train, The Rolling Stones et quelques autres et d’une demi-douzaine de compositions personnelles.
Ou pouvons-nous vous voir jouer ?
Je viens juste d’apprendre qu’on jouera le samedi 20 octobre 2018 à l’Imaginearium avec le groupe SWAN.
Pour terminer cet entretien peux-tu nous présenter 3 artistes de la région Havraise que tu apprécies ?
Edith, grande dessinatrice expressive, Alain Kokor, dessinateur poète génial, Riff Reb’s, époustouflant dessinateur.
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