J’ai rencontré François Bizet professeur de théâtre, quelques jours avant les représentations de sa version du classique de Robert Louis StevensonDr Jekyll et Mister Hyde au LHC, l’artiste aux multiples talents nous parle de son travail, son parcours et de ses nombreux projets à venir.
Bonjour François, ce week–end vous nous présenterez pour la deuxième fois votre version du Dr Jekyll etMister Hyde. Quel regard portez-vous sur l’œuvre de Robert Louis Stevenson ?
Bonjour.
« L’étrange cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde » est avec « L’île au trésor » l’œuvre la plus connue de Stevenson. D’une part, j’ai l’impression que tout le monde a en mémoire, enfoui en lui, dans une sorte d’inconscient collectif, la dualité qui oppose Jekyll à Hyde. C’est presque devenu une expression populaire quand il s’agit de parler d’une sorte d’opposé, de double, que chacun aurait en lui. (Prétexte à bien des fausses notes ou excuses d’ailleurs, à moins que ce ne soit le fruit d’une fatalité ?… en ce cas c’est une toute autre question. « Qu’est ce que la Fatalité » Comme le fait dire Flaubert à Monsieur Bovary découvrant le suicide de sa femme : « C’est la faute à la fatalité. »)
D’autre part il y a chez les auteurs de cette époque cet univers auquel je suis très sensible, cette période victorienne regroupant des auteurs tel que Lewis Carol et son « Alice au pays des merveilles », Oscar Wilde avec « Le portait de Dorian Grey » et donc Stevenson. Cette époque m’attire autant que les sujets qu’elle aborde : Folie/Double/Onirisme/fantasme/trouble/mystère. Un tout traduisant à mon sens une non-acceptation de soi-même telle que nous sommes ou encore le rejet d’un monde qui ne nous satisfait pas vraiment, ne semble pas fait pour nous, ou tout du moins pour « les rêves ou fantasmes » que nous voulons vivre. Mais pour répondre à la question, j’imagine que je porte un regard emprunt de fascination à l’égard de l’œuvre de Stevenson.
La pièce a été écrite en 1886 et a été de nombreuses fois mise en scène ou porté à l’écran, qu’est ce qui vous a donné l’envie de nous proposer une nouvelle version ?
C’est en effet une nouvelle version. Pourquoi ? Parce que j’ai pris un malin plaisir à noircir le trait de mon Dr Jekyll pour le rendre plus proche de nous. Dans l’œuvre d’origine il s’agissait d’un médecin qui cherche par la médecine à améliorer le monde : il cherche un moyen scientifique pour changer des êtres frappés de démence en d’honnêtes personnes, et c’est en ne trouvant pas de cobayes ou en se heurtant à l’adversité de ses collègues qu’il en vient à tester sur lui-même sa potion. S’estimant un homme bon, il veut vérifier si à la suite de l’absorption de sa potion il pourrait devenir quelqu’un de mauvais. Mais à force de renouveler son expérience et d’aller du bien au mal son corps s’adapte et il ne parvient plus a contrôler la situation même en absorbant une potion qui pourrait le ramener vers le bien, il est sans cesse confronté vers le mal.
Mon Dr Jekyll est quant à lui en thérapie et se pose une toute autre question : bien qu’il s’estime être un homme correct, fidèle et respectable il se sait tout aussi faible et fasciné par des plaisirs qui l’éloigneraient de son mariage. Il aime sa femme mais ne peut pas s’empêcher d’en regarder d’autres. Il aimerait passer à l’acte, et vivre d’autres aventures. Mais cela le fait culpabiliser. Il cherche alors le moyen de tromper celle qu’il aime sans trop culpabiliser, et imagine qu’en prenant une potion qui le rendrait « mauvais » ce ne serait plus vraiment lui qui tromperait sa femme mais ce qui est mauvais en lui.
A notre époque la pratique de la thérapie peut avoir pour but de nous déculpabiliser. C’est tout du moins ce que dit la Psy du Dr Jekyll. Elle l’éloigne de toute fatalité, ou plus exactement elle lui explique qu’il est « une sorte d’oiseau qui, bien qu’il ne veuille pas l’accepter sera bien obligé de « bondir sur sa proie s’il veut se sustenter ». Cela aura bien évidemment des conséquences tragiques.
Voilà pour ce qui est de Jekyll. Mais il y a encore une chose qui est distillée dans cette pièce : les scènes où l’on peu voir Jekyll, Hyde, sa femme ou encore sa Psy, sont en réalité des flash-back racontés par deux personnages que l’on découvre au début de la pièce. Deux amis. Du moins au début de la pièce, mais au fur et à mesure que l’histoire se raconte, elle met en lumière qu’il pourrait bien y avoir un Mr Hyde en chacun de nous. Et la fin de la pièce en donnera la preuve.
Vous l’aviez proposé en Juillet dernier au Théâtre de l’Hôtel de Ville du Havre, l’avez-vous abordé différemment cette fois ?
Oui et non. Dans l’esprit non pas du tout, et dans la technique oui légèrement. Il y a juste deux petites choses à savoir et qui bien souvent font toute la différence entre une grande salle et une plus petite. Au LHC le public est plus proche qu’au THV. Cela rend donc la pièce plus intimiste qu’on le veuille ou non. Je pense qu’il n’y a pas vraiment de pièces faites pour des grandes salles et d’autres faites pour des salles plus petites. C’est seulement souvent le regard du public qui change, pas vraiment le jeu des acteurs. Mis à par le fait qu’il faut projeter d’avantage la voix dans les grandes salles et élargir le geste, il n’y a pas tant que cela de différence… Mais ces deux choses sont à savoir. Pour le reste comme je l’ai dit, c’est le public qui fait la différence. On ne peut pas vraiment contester un ressenti venant du public, même s’il vous dit que votre pièce fut meilleure dans un lieu plutôt que dans un autre.
Une pièce que j’ai écrite et qui se nomme « Excès Femina » dont voici le récapitulatif : Brigitte est une femme « ni plus ni moins », elle est bien dans sa peau, n’a pas le moindre complexe et pour ce qui est de son poids ne se pose pas vraiment de question, mais un beau jour elle décide tout de même de monter sur la balance et découvre que cela pourrait être mieux même si pour l’heure il n’y a rien de catastrophique : un ou deux kilos pour retrouver sa ligne de jeune fille.
C’est alors que sa copine Brigitte vient lui rendre visite. Voyant la balance sortie elle interpelle son amie sur le sujet et lui dit qu’elle n’a nullement besoin de faire un régime car elle est en « Pleine Forme ». Ce propos tombe sur Brigitte comme un véritable couperet. Le mot « Pleine » et encore plus le mot « Forme » semblent lui indiquer qu’elle est trop grosse. Elle entre alors en pleine psychose et accuse son amie de la trouver « grosse » puisque « pleine de formes ».
Brigitte se lance alors à corps perdu dans un régime totalement destructeur, et courant après bon nombre de critères absurdes, elle n’en tirera que des conséquences catastrophiques.
Hamlet sera représenté à Montivilliers le 14 octobre 2017
Vous adaptez les classiques (Psychose, Hamlet, Dr Jekyll) mais comme pour Le Soufflé vous en avez écrit le texte. Comment gérez-vous la double casquette de metteur en scène et auteur ? Et avec lequel composes tu tes chansons ?
Je compartimente beaucoup. Pour moi il est très important de me remettre en question en tant que metteur en scène en montant des textes qui ne sont pas de moi, et inversement de me remettre en question en tant qu’auteur dramatique en confiant mes textes à d’autres metteurs en scène comme ce fut le cas pour « Feu de tout bois » avec Xavier Perier et « Les Amoures Blanches » qui fut monté sur Paris et mit en scène par Julie Salagnac. Quand je suis à la fois auteur et metteur en scène je suis d’avantage mon instinct. Il y a surtout une chose que je ne fais jamais ou tout du moins que je n’ai pas encore fait – sans doute par peur – c’est me mettre en scène moi-même sur l’un de mes textes, cela me terrorise vachement. Mais en revanche, ce que j’aime beaucoup de temps à autre, c’est jouer sous la direction d’un metteur en scène, cela me permet d’avoir régulièrement un regard sur ce qu’est un acteur qui est livré corps et âme à un metteur en scène, cela m’aide beaucoup de le savoir pour appréhender mon métier. Je peux alors d’avantage anticiper les demandes des personnes qui jouent sous ma direction.
En ayant l’impression de ne pas travailler. J’ai d’ailleurs horreur de travailler. De manière générale je suis extrêmement fainéant. Il faut vraiment qu’une chose me plaise pour que je la fasse. Il me faut un minimum d’amusement. Si faire du théâtre ne m’amusait pas il est envident que je ne ferais rien d’autre de mes journées. Paradoxalement je suis capable d’écrire pendant des heures d’affilées, ou encore de prendre des notes et de réfléchir pendant un temps irraisonnable à une mise en scène. Mais une fois encore c’est parce que cela m’amuse. Je n’ai pas l’impression de travailler. Je pratique les mêmes méthodes avec les enfants qu’avec les adultes, (de tout sens, les adultes qui découvrent le théâtre pour la première fois sont des enfants, avec plus ou moins de talent.) Je vais sur le plateau et je montre. J’expose à leur vue comment je vois les choses. Ou alors je leur demande de proposer une chose suite à une situation que je viens de donner. Il faut que cela soit amusant pour tout le monde.
J’écris. Principalement du Théâtre. C’est le moyen d’expression le plus fiable que j’ai trouvé à ce jour. Pour ce qui est des poèmes, des romans et nouvelles, tout cela est encore trop fragile en moi. Je n’arrive pas encore bien à définir ce que je veux en passant par ces trois formules mais j’y travaille, ou plus exactement je m’y amuse… A ce jour j’ai du écrire plus de 70 pièces de théâtre. 80 % de ce travail est à mon sens mauvais ou inabouti, mais cela m’a permis de faire mes armes, mes gammes. J’imagine qu’il me faudrait autant de temps pour être satisfait d’un seul poème… Pour ce qui est de la musique, et la chanson en particulier, le rapport entre cette forme d’expression et moi est plus évident. J’ai écrit 4 concepts album, dont « Brittany Parker » Et une petite centaine d’autres chansons. Mais je ne sais toujours pas pourquoi, ni ce que cela veut dire… Je cherche. Je fais des choses. Je m’amuse. J’ai l’intention de rester sur terre encore une trentaine d’année, il va bien me falloir une occupation satisfaisante si je veux tirer un bilan pas trop dégueulasse de ma vie.
Je devrais avoir entre 4 et 6 projets – tournant principalement autour du théâtre – à présenter cette année encore. C’est une moyenne depuis 3, 4 ans. Ma collaboration avec des compagnies comme « La Servante », « Le LHC » et « Temps Libre », plus les interventions dans les écoles de la région où je propose également une pièce de fait d’année : tout cela mis bout à bout fait qu’on arrive à plusieurs pièces de théâtre chaque année.
Brièvement : j’ai de l’affection et de l’admiration pour beaucoup de mes contemporains, et je pourrais donner bien des noms, malheureusement ceux que je proposerais sont tous mort… Jean Paul Sartre, Armand Salacrou, et Claude Monet. Sartre, pour avoir enseigner au lycée François 1er , je pense à lui chaque fois que je passe devant. Salacrou, pareil, dès que je suis obligé de me garer à la plage devant la Villa maritime – qui fut sa maison. Et Monet, pour avoir eu le bon gout d’inventer l’impressionnisme au Havre. Même si j’ai appris qu’on avait trouvé des traces de ce style chez un autre peintre outre manche, c’est toujours la toile « Impression soleil levant » qui a donné son nom à l’impressionnisme.
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