Emmanuelle Vo-Dinh, vous avez dansé pour François Raffinot quand il dirigeait le CCN du Havre. Pendant cette période vous avez créé votre compagnie « Sui Generis », qu’est-ce qui vous a incitée à postuler à la direction du Centre Chorégraphique du Havre et que représente pour vous cette nomination?
J’ai géographiquement voyagé avec ma compagnie, en privilégiant depuis 10 ans un travail sur le territoire breton (à Saint -Brieuc, puis à Rennes). Je nourrissais ces dernières années l’envie de développer un projet autour des écritures chorégraphiques, dans une ville et un territoire pour lequel j’ai toujours eu un profond attachement. Il me semblait naturel de revenir au Havre et d’y proposer mon projet.
La mission principale d’un Centre Chorégraphique National est de porter les œuvres et créations du directeur ou de la directrice (qui sont donc obligatoirement des artistes). A cela s’ajoutent des missions dites associées, qui relèvent du partage de l’outil (studios, moyens financiers donnés à d’autres compagnies) et du développement de la culture chorégraphique pour tous les publics sur le territoire.
Centre Chorégraphique au Havre. Après 6 ans de présence à ses cotés en tant qu’interprète, j’ai décidé de créer ma propre compagnie en 1998.
Je ne sais pas… Sans doute cela s’est imposé à moi parce que je n’avais rien trouvé qui m’enthousiasmait autant !
C’est une question difficile ! J’ai le souvenir d’avoir commencé la danse classique puis d’avoir arrêté les cours, car la technique me semblait rébarbative. J’ai décidé de reprendre après avoir vu ma sœur danser dans un spectacle de fin d’année…être sur scène m’a remotivée.
C’était un objectif !
Je n’ai pas le sentiment d’avoir fait le tour de la question…si ce jour devait arriver, sans doute ferais-je autre chose.
Des sujets très différents, qui passent aussi bien par la lecture de travaux d’anthropologues comme Françoise Héritier sur la question du masculin/féminin, que l’écoute d’une musique comme celle de Gérard Grisey
(Vortex temporum) pour ma prochaine création « revolve »…ou bien encore la peinture.
Travaillez-vous beaucoup par improvisation ou écrivez-vous des partitions chorégraphiques précises ?
Tout dépend des pièces. Généralement, je pars d’improvisations à partir de consignes précises, et les danseurs sont donc les créateurs de leurs propres mouvements. Pour ma dernière création, j’ai imposé le matériau de départ, qui est une phrase chorégraphique de 12 comptes à partir de laquelle les sept danseuses ont travaillé. Toutes mes pièces sont très écrites au final. La partition chorégraphique de « revolve » est assez ardue, tant pour la mémoire (partition comptée) que pour passer dans les différents états de corps que je leur demande.
Mis à part les personnes qui travaillent avec vous, avez-vous rencontré les forces vives de la danse au Havre et qu’en pensez-vous ?
Je les ai rencontré mais je ne connais pas encore le travail de toutes les compagnies. Il est certain que ce capital chorégraphique est à préserver et à conforter. Il est important que le centre chorégraphique puisse dialoguer avec les autres acteurs chorégraphiques de la ville et du territoire. Ce dialogue permet de nous nourrir mutuellement et de mieux faire connaître la danse.
C’est une pièce pour sept danseuses, à partir de la musique de Gérard Grisey « Vortex temporum » autour de la notion de tourbillon.
Je me suis appuyée sur l’imaginaire du compositeur et de sa structure musicale, et j’ai adapté à la danse quelques uns de ses principes.
Le plus important, est sans doute celui d’une phrase musicale qui court durant toute la pièce mais qui subit des transformations. J’aiadapté ce principe à l’écriture chorégraphique.
J’ai repris le principe de composition de la pièce, mais j’ai réécrit l’intérieur de la partition pour mes interprètes. Elles se sont donc réappropriées la phrase chorégraphique initiale, et je les amenées bien plus loin que dans la version pour Toronto qui était une commande, et pour laquelle je n’avais que très peu de temps. Au final, c’est une pièce qui s’est bien éloignée de la version canadienne !
C’est d’abord un rapport très instinctif et intuitif. Je n’ai pas de formation musicale. J’aborde donc cela en tissant des correspondances qui font sens pour moi, mais qui ne relèvent pas d’un savoir ou d’une connaissance de la musique. Je l’appréhende d’un point de vue de l’émotion, et c’est comme cela que j’entrevois la façon dont le public peut recevoir la pièce, et ce sans connaissance musicale.
Oui, c’est un grand luxe, mais c’est aussi l’enjeu de ce projet, car la musique de Grisey est puissante et très organique. Partager le plateau avec les musiciens donne une dimension très charnelle à ce travail.
Quatre des interprètes étaient dans mes projets précédents, j’ai choisi les trois autres en composant avec ce casting. Pour « revolve », j’avais besoin de danseuses capables de se mettre au service d’une écriture rigoureuse et pour laquelle la notion d’être ensemble (dans le sens du partage) était primordiale.
Ces sept danseuses ont un parcours unique. Si certaines d’entres elles je les connais depuis des années, pour d’autres « revolve » est notre première rencontre. Maeva Cunci danse dans mes pièces depuis plus de 10 ans et je vais d’ailleurs créer un solo pour elle au printemps.
Avec Pénélope Parrau, Sarah Degraeve et Alexia Bigot nous nous sommes rencontrées autour de la création d’ « Ad astra » (pièce présentée le samedi 1er décembre à l’Espace Culturel de la Pointe de Caux à Gonfreville l’Orcher). Il s’agit de ma première collaboration avec Célia Abitabile qui est également chanteuse de rock et avec Léa Scher après son experience au Junior Ballet Contemporain du CNSMDP (Conservatoire National Supérieur de Danse et Musique de Paris).
C’est un projet autour de la notion d’écritures chorégraphiques et de leurs rayonnements. Ce que je souhaite c’est partager et échanger avec le public, autour des œuvres chorégraphiques, par exemple sur la façon dont les œuvres sont créées et avec quels outils. Ainsi un jeudi par mois, nous organisons une Fabrique de 19h où nous questionnons un chorégraphe sur son processus de création. Il me semble que peu de gens savent comment ravaillent les chorégraphes, et ont une idée très floue de la construction d’une pièce chorégraphique. Tendre des ponts, donner quelques clés, permettent parfois de déculpabiliser ceux qui pensent qu’ils ne comprennent rien à la danse contemporaine. Il est maintenant admis en peinture que l’on peut être ému par un tableau abstrait, alors que l’on continue de chercher du sens dans des spectacles de danse pour lesquels il n’y a pas de message particulier.
Nous allons donner la première édition du festival Pharenheit (du 22 janvier au 2 février 2013) pour lequel, nous avons convoqué des chorégraphes aux esthétiques très différentes. Nous ne pouvons pas dire aujourd’hui que l’on connaît la danse contemporaine après avoir vu un spectacle. La diversité du paysage chorégraphique ne cesse de grandir et de se renouveler.
La danse reste un art où l’on peut encore trouver de l’inexprimable, de l’indicible…c’est un espace primordial où la notion d’intime est très prégnante.
Je suis toujours inquiète de voir que l’on accepte difficilement l’absence de sens, alors même qu’il existe encore des endroits comme dans le spectacle vivant qui permettent d’ouvrir un peu le champ.
Est-il nécessaire d’exprimer ce que tout le monde sait déjà ?
Je souhaite nettement faire la différence entre l’artiste, et la directrice du Centre Chorégraphique, puisque j’occupe aujourd’hui ces deux fonctions.
Il me tient ainsi à cœur en tant que chorégraphe de continuer à creuser artistiquement des terrains inconnus, et ce, grâce au confort d’un lieu dans lequel je peux travailler avec sérénité.
En tant que directrice, je souhaite bien entendu, promouvoir l’art chorégraphique, pour qu’il soit plus visible et mieux partagé, mais aussi soutenir, défendre et échanger avec les artistes de la danse, d’ici ou d’ailleurs.
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