Yohan Gicquel est Maître de conférences à l’Université en sciences humaines et sociales. Avant d’être prof de fac, il était directeur marketing pour une marque internationale de cosmétiques. Mais le marketing il l’a quitté pour mieux le critiquer. 

Difficile de le ranger dans une case tant il s’emploie avec énergie à les dissoudre avec subtilité et lucidité.

Sa nouvelle expérience : passer de l’amphi au théâtre.  

 L’artiste sera au théâtre de la Comédie Nation à Paris le 22 novembre (déjà complet) et le 23 novembre, pour vous le Boulevard des Artiste de Caen est allé à sa rencontre.

Bonjour Yohan, peux-tu te présenter ? 

Je suis originaire de Caen et je vis à Paris depuis une vingtaine d’années. J’ai travaillé comme directeur de marques dans l’industrie des cosmétiques et j’ai quitté mon poste pour reprendre mes études universitaires. Aujourd’hui je suis Maitre de conférences à l’Université en sciences humaines et sociales. C’est un titre un peu ronflant comme tous les titres. Mais en gros je suis prof et chercheur à la fac…

Comment es tu arrivé à faire du one man show ?

C’est par les gens et les événements qu’on arrive quelque part. Il y a pas mal de choses qui m’ont amené à écrire et à jouer ce texte. Il y a des événements, le décès de ma mère et le passage de la quarantaine aussi. Il y a une envie, dire sans censure la manière dont je vois le monde s’agiter autour de moi. Et puis il y a des rencontres. Je crois beaucoup aux rencontres. C’est l’un de mes anciens étudiants, Driss Homet, qui m’a convaincu d’écrire ce seul en scène. Aujourd’hui, c’est mon metteur en scène. Depuis il a fait de la route. Il est diplômé du conservatoire et il a écrit une très belle pièce saluée par la critique. Elle s’appelle « La fuite ». Elle raconte son enfance qui fuit la guerre de 1997 au Congo. Bref, je lui ai fait confiance. J’accorde beaucoup d’attention à la confiance. C’est important pour moi. C’est un mot qui ne veut plus dire grand chose aujourd’hui. Mais il en faut beaucoup dans le théâtre pour se laisser mettre en scène. Surtout qu’il me met dans des postures qui ne sont pas vraiment très conventionnelles dans le monde universitaire !

Quel a été ta première expérience sur scène ?

Je me souviens bien de cette première fois. Il y avait le spectacle annuel dans mon village organisait par la mairie. C’étaient des danseuses de cabaret qui venaient de Paris. J’étais émerveillé. Il y avait tous les techniciens qui s’affairaient pour monter la scène. Et puis je ne sais pas ce qui m’a pris, je suis allé voir, j’ai dit que je voulais présenter le spectacle. On m’a dit « Ok ». Je suis retourné voir mes parents et je leur annoncé la nouvelle. Je crois que ça ne les a pas trop surpris en fait. Et après chaque année, c’était devenu un rendez-vous. Et puis je faisais de la radio à Caen, j’avais une petite émission sur TSF, je devais avoir 14 ou 15 ans. Et après j’ai prêté ma voix pour des bandes annonces pour NRJ Caen. Et quand je suis parti à Paris, j’ai laissé tout ça derrière moi, il fallait travailler pour gagner de l’argent et survivre. Mais presque vingt ans après, on dirait bien que ce rêve de gosse ne m’a jamais quitté.

Quel est ton processus d’écriture d’écriture ?

Quand Driss m’a lancé son invitation, je finalisais l’écriture d’un bouquin. Ça faisait quatre ans que j’étais dessus. J’y ai passé des heures, des jours et des nuits entières.

Dans ce livre j’avais une seule obsession : « que sommes nous devenus ? ». Le monde dans lequel on vit est totalement dingue, il est saturé de paradoxes. Quand je le regarde j’ai l’impression qu’on est dans un état de congélation généralisé. On ne s’étonne plus, on ne critique plus rien, on n’interroge plus rien, on se questionne plus. On passe notre temps à commenter les faits. C’est tout. C’est totalement stérile. Pourtant les enjeux n’ont jamais aussi grand qu’aujourd’hui.

J’ai écris le texte de la pièce avec cette idée en tête. Je fais des conférences, j’écris des bouquins et des articles scientifiques mais là c’est un autre mode d’expression. Driss m’a donné les techniques d’écriture théâtrale. Et j’ai écrit. Y a pas de processus vraiment. Il y a de la curiosité, beaucoup de curiosité et aussi du travail. J’adore travailler. Le travail est une vertu pas du tout moderne aujourd’hui. S’il y avait un processus, je dirais que c’est le travail, l’obsession et mes névroses.

Y a-t’il des artistes qui t’ont particulièrement inspiré ?

Ceux qui m’ont inspiré ne sont pas du monde du spectacle. Je pense notamment à Michel Foucault, Genet, Nietzsche, Spinoza. Ils me fascinent. Et puis il y a des gens que j’admire comme Devos et Desproges. J’aime leurs diatribes poétiques. Ils n’étaient pas humoristes. Ils étaient philosophes. Comme Lucchini et Baer et quelques autres, les sont aujourd’hui. Ils engagent la pensée à penser. Aujourd’hui la plupart des comédiens font des « vannes ». C’est très à la mode mais je le perçois comme le symptôme d’une société sans idéologie.

Pourrais tu décrire ton style ?

Je ne sais pas. Certains disent que c’est satirique. Je dirais plutôt que c’est de la maïeutique. Chez les grecs ce mot désignait l’art de faire accoucher les esprits de leur connaissance. Enfin les deux ne sont pas incompatibles.

Peux tu nous parler de la pièce ?

Le contexte de la pièce, c’est une situation où il n’y a pas de réseaux, pas de connexion, pas de 4G. Il n’y a rien que du temps libre à occuper par la pensée. Du coup, j’embarque le public avec moi, à questionner notre quotidien et ses paradoxes, nos pratiques et leurs absurdités, nos croyances et leur déraison. Comme la réalité est un peu compliqué, les sujets sont nombreux, ils se percutent. On questionne le travail, l’argent, la religion, les technologies, l’écologie, notre rapport aux autres, à la famille, à l’âge, au genre et à la sexualité.

Ce sont des sujets graves et d’actualité pas toujours simples à appréhender avec lucidité mais avec l’humour la philosophie devient puissante et elle est capable de faire des miracles.

Et comme j’ai décidé de quitter l’amphi pour le théâtre, je mets la censure de côté. Je ne fais preuve d’aucune complaisance. Sarcastique presque légèrement sadique, rien ni personne n’est épargné. Et ça, ça me plait beaucoup.

Fais tu participer ton public à tes spectacles ?

Le public est au coeur du texte. Le texte ne parle que de lui. Les gens réagissent. C’est assez dingue, je ne pensais pas qu’ils s’exprimeraient autant et aussi ouvertement. J’aime bien. Mais je ne peux pas en dire plus !

Quel public vient à tes spectacles ?

C’est extrêmement varié et j’en suis très heureux. Je déteste les catégories. 

Ou joues tu ton one man show ?

Je joue au théâtre de la Comédie Nation à Paris jusqu’au 23 novembre 2019, les vendredis et les samedis. Et on va prolonger à partir de janvier tous les jeudis et tourner en région.

As tu déjà commencé à écrire un autre spectacle ?

Je n’ai pas commencé à écrire mais j’ai des idées. Je vais prendre le temps de profiter du succès de ce premier essai.

Tu vis depuis de nombreuses années à Paris, quel est aujourd’hui ton attachement à la ville de Caen ?

Caen est une ville que j’aime beaucoup. J’aime beaucoup la Normandie de façon générale, elle est belle et inspirante. J’espère pouvoir y jouer prochainement, ce serait un juste retour. Après tout, c’est là que tout à commencer et les nombreux normands qui viennent me voir chaque soir me confortent dans cette idée.

Peux tu nous présenter 3 artistes de la région caennaise ?

J’ai des styles musicaux très hétéroclites. Alors je te citerais Aerosphere (Alexandre Deguy aka Aeros­phere). C’est un jeune DJ ­caen­nais qui a la vingtaine. Il est vraiment brillant et j’aime bien comment il poétise la musique électronique : « Rythmes puissants des cérémonies païennes qui transportent l’esprit ». Après, il y a Olsem, c’est un jeune havrais. Il faut garder un oeil sur lui, il est prometteur. Ses textes sont vraiment bien écrits et pleins d’émotions. Et puis, je finirais par DAYSY, un duo caennais, dont j’aime bien le groove et l’esthétique urbaine.

Entretien réalisé par Grégory Constantin Septembre 2019

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