Avez-vous déjà entendu parler des Dragonfly ? J’ai eu le plaisir de les rencontrer lors du spectacle « Pour Mary Poppins » au THV il y a deux ans. Ces illusionnistes ont plus d’un tour dans leur sac ! 

Bonjour Pierre, Les Dragonfly ont déjà 13 ans, pouvez-vous nous présenter la compagnie ?

La Compagnie des Dragonfly conçoit des numéros visuels et des spectacles qui relèvent du domaine de l’illusionnisme. Elle est notamment spécialisée dans la combinaison des machines de magie et du laser, une alliance qui constitue sa marque de fabrique et son identité.

Le travail de la Compagnie est très axé sur la mise en lumière et les lignes chorégraphiques. Nous essayons aussi sur de nombreux numéros d’avoir une approche d’illusionnisme théâtralisé, avec un scénario, de façon à ce qu’au-delà du visuel, il existe une dimension dramatique au sens premier du terme.

La Compagnie conçoit et réalise également des shows laser pour le monde de l’évènementiel et pour des spectacles son et lumière. Nous concevons beaucoup de shows, tantôt pour des introductions de festival ou de conventions, tantôt pour des spectacles pyromélodiques (NDLR : feux d’artifices combinant de la pyrotechnie time-codée sur une bande son).

D’où vous est venue l’idée du nom de la Compagnie ?

Le nom de la compagnie a été choisi en référence à un nom de Ballet de danse classique créé par Anna Pavlova, danseuse russe de la fin du 19ème siècle.

Une raison en particulier ?

Oui, parce que Géraldine est passionnée de danse classique (NDLR : Géraldine présente depuis la création de la Compagnie est également magicienne dans le spectacle et réalise tous les numéros avec Pierre).

Ce choix permettait donc de faire le lien entre nos deux passions originelles respectives.

Pourquoi le choix de cet univers visuel très particulier dans vos numéros ?

La compagnie évolue principalement dans un univers visuel qui évoque le Golden Age (l’âge D’or de la magie) et la Belle époque, c’est-à-dire une période s’étendant de fin du 19ème au début 20ème siècle.

Ce choix s’explique essentiellement par le fait que l’esthétisme de cette période du Golden Age nous attire beaucoup. Notamment les costumes. Dans cette époque où l’on commence à voir de plus en plus de spectacles d’illusionnisme dans les théâtres, Il y a aussi un côté un peu grandiose, une forme de douce démesure qui nous plaît assez.

Vous avez été l’élève de Pierre Lajeunesse, pouvez-vous nous parler de cette rencontre, et ce qu’elle a déclenchée en vous ?

Pierre Lajeunesse est mon maître dans le domaine de la magie. J’ai eu la chance de le rencontrer lorsque j’avais une douzaine d’années. Je m’intéressais déjà à la prestidigitation à l’époque, comme beaucoup d’autres enfants, mais je ne connaissais que quelques tours appris dans des livres accessibles au grand public. Pierre m’a enseigné des techniques plus professionnelles et poussées que celles que l’on pouvait trouver dans ces livres. Il m’a transmis le goût pour le travail et la répétition. C’est avec lui que la simple affection que j’avais pour cette discipline est devenue une passion. Je considère que c’est grâce à lui que tout a vraiment commencé. Je lui dois beaucoup.

Vous avez été récompensés à plusieurs reprises, dès 1998, dans le cadre des championnats de France de la Magie, et vous faîtes également partie des rares artistes français à avoir participé à l’Emission « Le plus grand cabaret du monde » de Patrick Sébastien sur France 2.  Cependant vous avez finalement opté pour une carrière professionnelle bien différente, cela a dû être un choix difficile ?

En réalité non… parce que nous n’avons toujours pas choisi ! Et nous n’avons pas du tout envie de choisir en réalité ! Je pense que Géraldine et moi avons trouvé un bon équilibre en alliant notre travail d’universitaire (NDLR : Pierre et Géraldine sont Maîtres de conférences en Droit privé à la Faculté des affaires internationales du Havre) avec notre passion pour le spectacle. Je pense que nous n’aimerions nous passer ni de l’un, ni de l’autre.

 
Votre profession d’universitaire a-t-elle été un frein pour le bon développement de la Compagnie ?

Non, je pense que ces deux métiers sont très complémentaires. Dans l’enseignement, il y a une part de spectacle. Pour mon métier d’enseignant, je pense que mes connaissances tirées du domaine du spectacle m’ont aidé. Les techniques de spectacle permettent de capter l’attention, de donner du rythme à une présentation orale, d’apprendre à positionner son corps, à gérer ses mouvements, son regard, sa voix, autant d’éléments qui peuvent contribuer à l’efficacité et à la qualité de la transmission de l’information. Réciproquement, la rigueur du juriste est également très utile pour les méthodes de travail dans le spectacle, parce que c’est un domaine dans lequel il faut être très précis, méticuleux et organisé. Le dénominateur commun entre ces univers réside dans le fait qu’on progresse toute sa vie, parce tout peut toujours être amélioré. C’est une quête sans fin, mais aussi un formidable moteur, parce que les retours et réactions des spectateurs –  comme ceux des étudiants –  permettent d’évoluer d’année en année.

Comment faîtes-vous pour allier les deux professions ?

Je crois que j’ai la chance de ne pas avoir besoin de dormir beaucoup, ce qui me permet donc d’avoir des journées de travail un peu plus longues, et davantage de possibilités de tout combiner. Et puis quand on fait les choses avec passion, tout devient plus simple parce qu’on ne compte pas vraiment ses heures. Plus simple ne veut pas dire non plus facile.  C’est parfois un peu compliqué.

Quand on joue quelque part le dimanche, il m’arrive de conduire puis décharger un poids lourd tard dans la nuit. Le lendemain, quand les techniciens de l’équipe vont se coucher, je vais faire cours à 9 h 00. Un emploi du temps parfois « surréaliste mais sympathique »…

Certains numéros que vous réalisez semblent assez dangereux. Comment gérez-vous la sécurité ?

Elle se gère à plusieurs niveaux. Tout d’abord, au niveau de la conception des machines de magie qui doivent être ultra-fiables et très résistantes pour supporter les voyages en flight-case dans des véhicules poids lourds ou dans des avions, les chargements, les déchargements, montages et démontages.

Ensuite, au niveau de la répétition. La clef est souvent là. C’est en répétant et répétant encore les mouvements, en travaillant la précision des placements et la synchronisation des gestes qu’on parvient à travailler en sécurité. Ce n’est jamais acquis et il faut rester constamment vigilant. Les conditions de travail (montage et démontage ou encore conduite de nuit pour aller d’un théâtre à l’autre) contribuent à accentuer la fatigue, et peuvent être une source d’inattention, donc de danger. On fait donc particulièrement attention lorsqu’on sait que nous sommes extrêmement fatigués.

Enfin, pendant le spectacle. Nous avons des techniciens qui redoublent de vigilance dès que nous jouons un numéro dangereux (machines de magie utilisant du feu, de la pyrotechnie, machines de magie avec des parties mécaniques en mouvement etc…). La plupart de ces machines ont des process qui sont gérés par ordinateur, et il y a donc de nombreuses sécurités informatiques auxquelles s’ajoutent toujours des sécurités manuelles pour faire face à toute défaillance technique.

Les numéros que vous présentez sont-ils uniques au monde ?

Nous essayons dans la mesure du possible de nous démarquer. On peut dire que les numéros sont uniques, soit grâce aux machines de magie particulières que nous faisons construire, soit en raison de la façon particulière de les utiliser ou de la mise en scène retenue. « Eclipse laser act » est par exemple le seul numéro qui combine une machine de magie avec un système de laser synchronisé.

Dans certains cas, le particularisme du scénario rend le numéro unique, au même titre qu’une pièce de théâtre est unique. Par exemple, « Ligne deux je » est un duel entre deux magiciens qui, dans une comédie, décident de s’affronter en réalisant en même temps, sur une même scène, le même numéro dans des styles radicalement opposés.

Dans un registre différent, mais toujours dans une optique de théâtralisation de la magie, « Le 4ème mur » transporte en quelques secondes des centaines de spectateurs dans les coulisses d’un théâtre pour y découvrir l’envers du décor, en traversant une immense verrière de 14 mètres de large sur 6 mètres de hauteur qui devient transparente, grâce à la magie de la lumière.

https://www.facebook.com/lejardindacclimatation/videos/1253483444733406/

Des décors gigantesques…La « douce démesure » donc…

Oui ! Nous utilisons beaucoup de décors car cela contribue à faire entrer le spectateur dans notre univers visuel. Nous utilisons parfois 140 mètres carrés de décors pour un numéro qui ne dure que 8 minutes. Cela semble démesuré pour certains, mais pour nous, c’est simplement nécessaire pour parvenir à notre fin. C’est la fin qui compte, peu importe la quantité de moyens qu’il faut déployer pour y parvenir.

Où sont conçues vos machines qui permettent de réaliser ces numéros d’illusion ?

Elles sont conçues dans différents endroits, principalement aux Etats-Unis à Las Vegas et à Santa Paula par des ingénieurs spécialisés (Splashes creative Technologie, Magic Ventures ou encore Illusion Projet INC, toutes trois basées à Las Vegas, WK Magic à Santa Paula).

Certaines machines ont été conçues en France par notre ami Christian Cécile qui conçoit beaucoup de machines pour le monde du théâtre, mais aussi pour des parcs d’attraction comme le Parc Astérix ou le Futuroscope.

Nous travaillons avec plaisir avec ces concepteurs qui, depuis nos débuts, sont toujours très à l’écoute de nos besoins. Ils font un travail d’une précision et d’une qualité sans égal. Nous travaillons aussi avec des concepteurs de machine de magie qui dessinent parfois pour nous des projets personnalisés. C’est le cas de Mark Kalin et Tim Clothier (USA).

Et les décors de vos spectacles ?

Beaucoup de nos décors ont été conçus par Jean-Marie Rohou, un artiste havrais créateur du théâtre de l’Arc-en-Ciel. C’est un homme passionné de spectacle qui a la chance d’avoir pu apprendre, il y a bien longtemps déjà, les techniques de peinture de décors de théâtre. François Thoreux, havrais également, a réalisé de nombreux éléments pour nous.

Les décors les plus importants ont été réalisés par des graphistes spécialisés. C’est le cas notamment de Hervé Massoubre à qui l’on doit par ailleurs une partie des décors de la comédie Musicale les Demoiselles de Rochefort, ou encore Sylvestre Guéné, artiste peintre spécialisé dans la réalisation des décors et qui travaille notamment pour l’Atelier Artefact (NDLR : l’atelier Artefact est spécialisé dans la fabrication de décors pour les concerts et spectacles).

Fabriquez-vous également des choses vous-même ?

Dans mon atelier, je développe tous les systèmes d’automation qui permettent de piloter soit les décors, soit les machines de magie. Je m’occupe principalement de tout ce qui est technique (NDLR : Pierre conçoit et encode également les shows laser réalisés par la Compagnie). Dans certains cas, je travaille sur le design des machines pour l’adapter à telle ou telle mise en scène.

Comment écrivez-vous les numéros ?

Cela dépend des numéros. Parfois, c’est au départ une idée de scénario que je peux avoir, ou une machine de magie qui inspire Géraldine et qui nous donne envie de construire quelque chose autour.  C’est de toute façon un travail d’équipe où chacun apporte quelque chose en fonction de ses compétences et centres d’intérêt. Géraldine travaille essentiellement sur les chorégraphies et les costumes tandis que je me consacre plus à l’écriture du numéro et à sa réalisation technique. Dans les numéros qui impliquent plusieurs artistes, chacun apporte aussi des améliorations, des suggestions, des modifications dans des séances de création. On creuse tous ensemble des pistes artistiques en essayant tout un tas de choses que l’on décide ensuite de garder ou d’écarter.

J’ai été surpris de constater que la Cie était constituée de plusieurs danseuses. Quels atouts apportent-elles à vos numéros ?

Je pense que pour bien se déplacer sur scène et pouvoir exprimer quelque chose qui soit juste et précis avec son corps, il faut avoir fait de la danse. C’est un passage obligé. Les danseuses ont une conscience de leurs corps, une précision des mouvements et des placements, un sens du rythme mais aussi une maîtrise de la tenue (port de tête, port de bras) qui constituent pour nous des qualités essentielles.

La Cie Dragonfly est peut-être encore méconnue du public Havrais mais vous avez joué dans des villes et lieux prestigieux, comment expliquer ce phénomène ?

Je n’en ai aucune idée ! C’est vrai qu’il est toujours étonnant d’être demandé pour le tournage d’une émission télévisée ou d’aller travailler fréquemment à l’autre bout de la France alors que localement, nous sommes peu présents. Nous avons toutefois joué plusieurs fois au Théâtre de l’hôtel de ville, au Petit Théâtre, mais aussi à l’espace culturel de la Pointe de Caux. Plus récemment encore, au Carré des Docks, le nouveau centre des congrès havrais.

Quels sont les projets ou opportunités à venir de la cie ?

Nous travaillons en ce moment sur trois nouveaux numéros destinés à intégrer des plateaux d’artistes ou soirées évènementielles, un spectacle complet d’une durée de 1h30 et un spectacle pour un parc d’attraction.

Nous proposons sur notre site une liste de 500 artistes et cies de la région Havraise, puis-je vous demander de m’en proposer 3 que vous appréciez particulièrement et me les présenter brièvement ?

Tout en haut de la liste, mon ami Philippe Tréhet, créateur du LHC, qui est parti en laissant un grand vide dans notre vie. C’était un chorégraphe exceptionnel, avec un regard juste et efficace, un grand pédagogue aussi.

Jean-Marie Rohou du théâtre de l’Arc-en-ciel, parce que c’est un artiste passionné et un décorateur de grand talent. Pour finir, Régine Duflo de l’atelier Arte Moda, qui est conceptrice de chapeaux et qui, dans ce domaine, est une véritable artiste.

Entretien réalisé par Grégory Constantin  Novembre 2017

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